Article paru dans le magazine 218_juillet 2022 / Rédigé par Simon Billeau

Un triathlon se compose de 3 sports qui comportent des difficultés et des contraintes spécifiques. Par ailleurs, chaque athlète est unique et possède ses propres forces et faiblesses. Pour le commun des mortels, courir un marathon “sec” relève déjà de l’impossible. Pour la communauté triathlétique, ce n’est “que” la dernière partie d’un Ironman. C’est souvent un moment redouté ou attendu. Dans cet article, nous allons vous détailler les différences et les spécificités d’un marathon “sec” en comparaison d’un marathon sur Ironman, et nous tenterons de vous donner des pistes pour aborder le marathon d’un Ironman dans les meilleures conditions.

Juste pour l’anecdote historique, la discipline du marathon trouve ses racines dans la légende grecque du soldat, Philippidès, qui couru de Marathon à Athènes pour avertir l’Assemblée de leur victoire contre les Perses en 490 avant Jésus-Christ. En 1896, avec l’avènement des Jeux Olympiques modernes organisés par le baron Pierre de Coubertin, le marathon fait partie des épreuves originelles. La distance a été officiellement réglementée à 42.195km en 1921 par la Fédération Internationale d’Athlétisme.

Un marathon est une épreuve qui challenge les fonctions biologiques des participants. Des processus physiologiques s’opèrent en permanence pour contrecarrer la fatigue induite par l’exercice. La préparation physique d’un marathon (sec ou sur Ironman) requiert à l’organisme de passer par des adaptations biologiques. Dans ce chapitre, on va vous décrire les composantes déterminantes et limitantes de la performance sur un marathon “sec” et les compléter pour la spécificité d’un marathon sur Ironman.

Composantes physiologiques

À ce jour, 3 composantes physiologiques sont considérées comme déterminantes de la performance. Il s’agit de la VO2max, de la vitesse au seuil anaérobie et de l’économie de course. D’autres facteurs considérés comme limitants ont été découverts : la nutrition, le climat, la motivation et l’endurance mentale pour n’en citer que quelques-uns. Nous leur accorderons un passage dans ce chapitre car quand bien même il est crucial de passer un maximum de temps à l’entraînement, il est illusoire d’espérer atteindre ses objectifs sans par exemple adopter une stratégie nutritionnelle.

VO2max

La VO2max se décrit comme la capacité maximale d’un individu à consommer de l’oxygène, à le transporter jusqu’aux muscles actifs afin que ces derniers l’extraient pour produire un travail. Comme l’on court à un pourcentage de notre consommation maximale d’oxygène, il est facile de comprendre que plus le VO2max est élevé, plus la capacité du réservoir est grande. En clair, c’est plus facile de courir à 14 km/h quand on a une vitesse à VO2max de 22 km/h que si l’on ne court qu’à 17 km/h à VO2max.

Dans les 2 cas d’un marathon “sec” ou enchaîné durant un Ironman, plus la VO2max est élevée, plus la réserve de vitesse sera grande et facilitera une allure de déplacement à moindre vitesse. Cependant, comme la vitesse de course sur marathon d’un Ironman est moins élevée que sur marathon “sec”, passer de nombreuses heures à développer une VO2max la plus élevée possible, à défaut d’optimiser la vitesse au seuil anaérobie, peut se questionner.

Vitesse au seuil anaérobie

Ensuite, la vitesse au seuil anaérobie influe la performance en endurance sur un marathon. Le seuil anaérobie est le croisement entre les systèmes aérobie et anaérobie. On sait que le système aérobie demande de l’oxygène et de l’énergie (glucides et/ou lipides) pour produire des molécules d’ATP, essentielles pour la conversion d’énergie biochimique en énergie mécanique. Quand l’intensité de l’effort est trop élevée, le système anaérobie est sollicité et des ions lactates sont créés. Ces ions lactates acidifient le milieu et si le pouvoir tampon n’est pas rétabli, l’arrêt de l’exercice a cette intensité est inévitable.

Les glucides permettent de maintenir un pourcentage plus élevé de la VO2max. Cependant, ils fournissent moins d’énergie que les acides gras. C’est ainsi que l’efficience motrice et la capacité à résister à la fatigue sont entrainables et permettent des adaptations biologiques, biomécaniques et mentales au seuil anaérobie. Or, lorsque l’on court un marathon “sec”, on démarre dans un certain état de fraîcheur alors que le marathon d’un Ironman s’effectue après de nombreuses heures ayant accumulé de la pré-fatigue.

Economie de course

Enfin, l’économie de course peut se définir comme l’habileté d’un individu à se déplacer de façon efficace sur le plan énergétique. Il s’agit plus précisément de la consommation d’O2 pour une vitesse de course donnée. Cette composante est directement liée à l’efficience du patron de locomotion d’un point de vue biomécanique et énergétique. Elle est notamment améliorée par l’accumulation d’années d’entrainement et donc par le volume. Cette économie de course est également affectée par les activités subséquentes. L’économie de purs coureurs devrait être plus efficiente que celle de triathlètes qui partagent leur emploi du temps entre 3 activités.

« Réaliser un marathon “sec” dans le cadre d’une préparation Ironman ne revêt pas de grand intérêt, hormis peut-être pour la confiance en soi, sauf si vous le courrez à l’allure de votre marathon d’Ironman. »

Nutrition et hydratation : adoptez une stratégie !

La nutrition et l’hydratation sur un marathon sont évidemment des facteurs sur lesquels il faut se pencher. La durée d’un marathon “sec” varie entre 2 et 6h. Or, nos réserves en glucides sont épuisées en l’espace de seulement 90 minutes à 75% de VO2max ! L’hydratation joue un rôle majeur également. On sait qu’une perte de poids de l’ordre de 2% du poids de corps engendre une baisse de performance de l’ordre de 20%. La nutrition sur un marathon “sec” est en partie réalisée avant l’échéance et des ajustements sont apportés durant l’épreuve. Pour ce qui est du marathon d’un Ironman, la fatigue et la déplétion des stocks d’énergie sont déjà présentes à l’entame du marathon.

Météo et climat

Le climat, du fait de la température ambiante, et l’hygrométrie, sont des facteurs à prendre en compte pour ajuster son allure. Une étude française dirigée par El Helou et Coll. (2012) sur 1.8 millions de marathoniens a montré que la température idéale pour un marathon est entre 1 et 9 degrés celsius (!) et que la performance se réduit de 3% pour seulement un demi-degré de différence par rapport à cet intervalle de températures idéales. Trop froid, et le coureur peut tomber en hypothermie. Trop chaud, et la performance est détériorée par l’accumulation de chaleur produite par l’exercice.

On vous rappelle que dans le processus de production d’énergie, l’oxydation de l’énergie produit de la chaleur et que cette dernière augmente la température corporelle. Cela est délétère à partir d’un certain niveau et le corps thermorégule pour évacuer cet excès de chaleur par notamment la sudation. Comme on le sait, le triathlon est un sport estival et il est rare de courir un marathon d’Ironman sous ces conditions météo épouvantables. Par ailleurs, on démarre le marathon d’un Ironman avec déjà presque 4 km de natation et 180 km de vélo dans les cannes. Autant dire que la température corporelle n’est pas optimale ou contrôlée, comme cela pourrait être le cas sur un marathon sec.

Mental

La motivation est sans aucun doute ce qui permet de s’entraîner dans la durée en amont de la compétition et donc de progresser vers un but. La motivation intrinsèque orientée vers la réalisation d’un objectif personnel est de loin ce qui est le plus corrélé avec la performance, alors que la reconnaissance de ses pairs est significativement liée à des performances décevantes voire des abandons.

Enfin, l’endurance mentale est souvent peu reconnue comme une capacité entrainable. Cependant, c’est bien le cerveau qui nous commande et qui soit nous pousse à nous surpasser, soit nous force à déposer les armes. On pourrait penser qu’il faut plus de force mentale pour finir un Ironman plutôt qu’un marathon sec du fait d’un temps d’effort plus long. C’est vrai que la durée durant laquelle on s’inflige de l’inconfort est plus longue dans le temps. Cependant, l’intensité de la douleur est souvent plus élevée sur marathon “sec” car les coureurs courent à des pourcentages plus élevés de leurs limites.

Le marathon en triathlon, comment l’aborder ?

La grande majorité des participants d’un Ironman font cette course pour la finir plutôt que pour la gagner ou battre leur record personnel. Il ne sert cependant à rien de différencier les populations entre ceux qui veulent rallier l’arrivée, peu importe le temps, et ceux qui se battent pour des “slots” car l’état de fatigue et la perception de l’effort est relativement similaire. Dans ce chapitre, nous allons vous orienter sur les stratégies pour performer sur un marathon d’Ironman et vous nommer quelques erreurs à éviter.

« Il faut habituer le corps et l’esprit à endurer pendant de nombreuses heures cette sensation d’inconfort. Réaliser des enchaînements à l’entraînement et/ou des courses de préparations est essentiel. »

Comme on l’a vu plus haut, l’entraînement est la clé du succès. Une bonne organisation et donc une planification sont indispensables. Un marathon d’Ironman ne s’appréhende pas de la même manière qu’un marathon sec. Il faut tenir compte des spécificités d’un Ironman. À ce titre, réaliser un marathon à sec dans le cadre d’une préparation Ironman ne revêt pas de grand intérêt, hormis peut-être pour la confiance en soi, sauf si vous le courrez à l’allure de votre marathon d’Ironman. Auquel cas, cela est une bonne répétition pour se tester en condition réelle. En effet, comme on l’a vu plus haut, les allures de course sont différentes et donc les adaptations se font à des allures qui ne seront pas spécifiques d’un Ironman. Lors d’un marathon d’un Ironman, on commence la dernière épreuve plus ou moins vidé de nos stocks de glycogène, avec des muscles déjà bien fatigués et une fatigue centrale elle aussi sujette à une baisse de performance.

En prenant en compte les spécificités de cette discipline, il faut habituer le corps et l’esprit à endurer pendant de nombreuses heures cette sensation d’inconfort. Réaliser des enchaînements à l’entraînement et/ou des courses de préparations est essentiel. Il est évident aussi que posséder une VO2max élevée permettra d’augmenter les performances sur un marathon d’Ironman. Cependant, les vitesses de course dans les 3 sports sont tellement éloignées des vitesses que l’on peut maintenir à VO2max que ce critère déterminant de la performance est relativement peu entraîné chez les athlètes élites. Les meilleurs athlètes du circuit longue distance en ce moment sont les Norvégiens Gustav Iden et Kristian Blummenfelt. Tous les deux s’entraînent de très nombreuses heures mais peu de temps sont consacrés au travail à VO2max (qu’ils appellent X-Element) comparativement au travail au seuil anaérobie. Ils concentrent leur effort à la vitesse qu’ils peuvent maintenir en course sur 70.3 et Ironman et s’assurent d’être performants surtout à ces allures. Ils utilisent à profusion les analyseurs de lactates et adaptent leur entraînement en fonction de l’évolution de leur lactatémie à l’intensité cible.

L’économie de course est améliorée notamment de deux façons. La 1ere est de travailler sur des répétitions longues à intensité cible des compétitions et de façon spécifique. Par exemple, si le marathon d’un Ironman comporte de nombreuses montées, ils feront du travail de côte à allure de course. La 2e façon qu’ils utilisent pour améliorer leur économie de course est de courir à de faibles intensités sur de longue durée (supérieure à deux heures) pour entraîner physiquement et mentalement aux sensations rencontrées sur les épreuves aux longs cours.

Pour ce qui est du climat, il a été à maintes reprises démontré que s’entraîner dans la chaleur aide à s’y adapter (lire notre dossier dans le n°215), mais pas seulement. Les études montrent que l’entraînement dans la chaleur aide également à performer dans le froid. Et pour entraîner votre force mentale, il est de bon ton de s’entraîner par n’importe quelle condition météo. Si vous ne vous entraînez pas dans la chaleur, le froid, la pluie, la neige par fainéantise, il est fort à parier que vous ne courrez pas bien dans ces conditions le jour J.

Le capteur de température corporel Body Core Comp est un atout indéniable pour optimiser votre stratégie de course que ce soit sur le plan nutritionnel, sur le plan de la thermorégulation ou du choix du rythme à suivre. La nutrition sur un marathon d’Ironman est bien différente de celle d’un marathon sec. Lorsque j’avais lu le livre de Gabrielle Collison qui interviewait les stars anglaises du marathon hommes et femmes des glorieuses années 80 britanniques, nombre d’entre eux ne buvaient même pas une goutte d’eau sur l’entièreté d’un marathon. C’est inconcevable sur un Ironman. Avec la chaleur et la limitation du système gastro-intestinal, il est déjà bien difficile de limiter la perte de poids de corps liée à la déshydratation. Sur un Ironman, il faut bien évidemment se ravitailler autant que faire se peut. Idéalement, il faudra avoir surcharger son organisme en sucres lents les 3 jours avant l’épreuve, puis ingurgiter des glucides simples et complexes durant la partie cycliste pour compenser les pertes sur la natation et le cyclisme. L’application Supersapiens et ses capteurs de glucose Abbott Libre permettent de suivre en temps réel le taux de glucose dans le milieu interstitiel. Être en mesure de suivre son taux de glucose en temps réel est une véritable révolution, notamment pour éviter la fringale du 30e km ou le “mur”.

Enfin, il existe des façons d’améliorer nos performances mentales sur marathon. La meilleure chose à faire est de savoir pourquoi on s’est engagé sur cette épreuve. Cela peut être pour se qualifier pour un championnat du monde, pour lever des fonds pour une association caritative, en l’honneur d’un défunt, pour se prouver à soi-même ce que l’on peut accomplir. Répétez-vous le nom de ceux que vous aimez et avancez, avancez toujours.

Le marathon d’un Ironman ressemble à une forteresse imprenable. Cependant, il convient de désacraliser la distance. De très nombreux finishers témoignent que le challenge est à portée de presque tout un chacun. Il y a des athlètes dans leur 80e printemps qui bouclent des Ironman. En marathon “sec”, il y a un centenaire indien, Fauja Singh, qui a terminé un marathon… Par ailleurs, tous les finishers d’Ironman ou de marathons n’ont pas tous la masse grasse d’un Eliud Kipchoge et pourtant ils franchissent néanmoins, pour la très grande majorité d’entre eux, la ligne d’arrivée. En même temps, il convient de rester humble car terminer un Ironman est un “petit” exploit qu’il faut savourer. De nombreux athlètes, même des professionnels, s’y cassent les dents chaque année alors que c’est leur travail.