Article paru dans le magazine 212 _décembre 2021 – janvier 2022 / Propos recueillis par Cédric Le Sec’h

Telle une panthère (rose), toutes griffes dehors, Marjolaine Pierré a surgi sur la scène internationale du triathlon longue distance avec des performances enflammées. Pour sa première saison pleine sur longue distance, la triathlète de 22 ans a confirmé ses aptitudes, entrevues en 2020, à jouer les premiers rôles sur le circuit professionnel. Enjouée, pétillante et le sourire aux lèvres, la jeune fille à la chevelure aussi lumineuse que le soleil réunionnais a répondu à nos questions. Retour sur une rencontre pleine de fraîcheur.

Marjolaine, quelle année !  Vice-championne de France longue distance au Trigames de Cagnes, 2e sur le XL de Gérardmer, puis victoires sur le Triath’long de Royan, sur le L de Deauville et sur l’Ironman 70.3 Cascais ! Y aurais-tu cru en début d’année ?

C’est vrai que quand on liste tout ça, parfois je me demande si c’est vraiment moi qui ai fait ces résultats ! Je n’arrive toujours pas à réaliser, notamment ma victoire à Cascais. Ma  performance là-bas est complètement “ouf”… Quand Yves Cordier a commencé à me coacher, il m’a demandé quel était mon projet sportif. À l’époque, je ne savais pas trop ce que cela voulait dire. Mais avoir une banderole Ironman dans les mains, c’était mon rêve. Alors à Cascais, quand j’ai vu cette banderole devant moi, je me suis retournée plusieurs fois pour regarder derrière, j’étais tellement émue… Très “choquée” donc de cette année, je ne pensais pas pouvoir faire ça.

« Décrocher une victoire sur label Ironman, c’était mon rêve. »

On serait tenté de dire que le seul “couac”, c’est cette 5e place sur le L de l’Alpe d’Huez. Une course qui apparemment compte beaucoup pour toi. La gagner, ça représenterait quoi ?

Cette course représente beaucoup pour moi car mes parents l’ont faite depuis sa création et je les accompagnais, toute petite. Pour moi, c’était des vacances. J’y allais également l’hiver pour skier. Je me souviens qu’il y avait déjà des sacs à dos Alpe d’Huez Triathlon pour les finishers, et je les prenais pour aller à l’école ou pour les sorties scolaires. J’étais tellement contente d’avoir ces sacs ! (rires) Je mettais mon pique nique dedans, j’avais un sac différent des autres. Participer ensuite à la course en tant qu’athlète, c’était fantastique, d’autant plus que ça a été une des mes premières courses, sur le M en 2018, où j’avais souffert le martyre. Du coup, quand je me suis lancée sur le L en 2021, j’ai fait la course sur la retenue en mode “sortie du dimanche”. Car je ne connaissais pas le parcours, je ne savais pas comment je pouvais gérer cette course. Je ne me suis “réveillée” qu’au pied de l’Alpe, où je fais d’ailleurs le meilleur chrono de la montée. Pour toutes ces raisons, tant pour ce qu’elle représente pour ma famille et moi, que pour la “contre-performance” de cette année, j’ai vraiment envie de refaire cette course.

Tu étais très émue lors des championnats de France longue distance, et depuis d’autres perfs ont suivi. Avec le recul, quelle est ta plus belle émotion à ce jour ?

(Surprise) Ah, c’est compliqué ! C’est vrai que Cascais, c’était mon rêve. Celui que j’ai toujours, encore plus depuis un an et demi que je m’entraine avec Yves : décrocher une victoire sur label Ironman. Mais c’est vrai que les championnats de France, c’est différent. Il y a beaucoup d’émotion car justement c’est un championnat de France. Et puis c’était ma première course de la saison après une longue préparation sur l’île de La Réunion, pendant laquelle toutes les courses étaient en stand-by. À Cagnes, ça a été un peu comme une libération, mais également une énorme surprise de me voir arriver à la deuxième place. Vice-championne de France, l’émotion est également très, très forte…

« J’ai un bout de La Réunion en moi. J’adore la mentalité réunionnaise, ainsi que le mélange de cultures, qui font la richesse de cette île. »

À travers tes réseaux, nous avons effectivement pu voir que tu avais préparé cette saison avec un long séjour sur l’Île de La Réunion. Quelle est ton histoire et quel est ton attachement par rapport à cette île ?

J’ai grandi à La Réunion et tous mes souvenirs sont là-bas, même si je ne suis pas Réunionnaise. J’y ai déménagé à l’âge de 10 ans et j’y suis resté jusqu’à mes 18 ans. Ce sont des années qui comptent et j’ai un bout de La Réunion en moi. J’adore la mentalité réunionnaise, ainsi que le mélange de cultures, qui font la richesse de cette île. La Réunion, je sais que je ne pourrai jamais la “quitter” et il faut forcément que j’y retourne régulièrement pour me sentir bien. En raison du covid, j’y suis retourné une longue période, chez mes parents. Se retrouver auprès de sa famille dans ces périodes compliquées, ça faisait du bien. Et de m’entraîner au soleil, ça a aussi certainement été un déclic pour le reste de ma saison.

Tu étais d’ailleurs aux côtés de Clément Mignon pendant ce stage, ton compagnon dans la vie. Du coup, à table, ça parle autre chose que triathlon ?

(Catégorique) Ah oui ! C’est d’ailleurs pour ça que nous sommes ensemble, parce qu’il n’y  a pas que le triathlon. On passe beaucoup de temps à s’entraîner et il faut savoir couper par rapport à ça. C’est pour ça qu’il m’a beaucoup séduite et que ça fonctionne aussi bien, car nous avons chacun autre chose que le triathlon dans la vie et nous nous apportons mutuellement un équilibre dans la vie de tous les jours.

Revenons à ta saison 2021. Grâce à ces performances, tu t’es solidement installée dans le top 100 du classement PTO (actuellement 35e). Le classement, tu “cours” après ou c’est juste une bonne surprise qui accompagne tes résultats ?

Non, je ne “cours” pas après car déjà c’est tout nouveau. Et d’ailleurs je remercie la PTO car cela donne un nouvel élan au triathlon. Je trouve que c’est un tableau dressé à la fin de l’année qui est au final plutôt cohérent avec les athlètes. Mais de mon côté je ne cherche pas forcément à savoir combien de points j’ai ni combien de points je pourrais gagner sur telle ou telle course.

« Yves Cordier, au delà d’un coach, est surtout un soutien humain avec une écoute et une attention particulières, bien différentes des autres. »

On se doute bien que tous ces résultats sont le fruit d’un travail acharné et méticuleux, et de la collaboration avec ton coach Yves Cordier. Comment s’est opéré ce choix ?

Je suis arrivé à Nice pour mon Master et j’ai fait toute ma licence à Aix-en-Provence. C’est là que je me suis mise à faire de plus en plus de triathlon et où j’ai commencé la D1. J’avais vraiment envie de faire plus de sport. J’ai connu Nice à travers l’Ironman et je trouve que c’est une ville ultra sportive, qui me rappelle La Réunion par certains aspects. Comme je cherchais un entraîneur, le choix s’est naturellement porté sur Yves qui, au-delà d’un coach qui envoie ses plans et dit quoi faire, est surtout un soutien humain avec une écoute et une attention particulières, bien différentes des autres. Ça a fonctionné tout de suite et j’ai adoré sa manière de procéder avec moi. C’est tout à fait le genre de relation entraîneur-athlète que je recherchais.

Triathlète professionnelle, mais également étudiante, car tu n’as que 22 ans. Quel est le cursus que tu prépares et quel est ton “plan de carrière” ?

Je prépare un diplôme d’expertise-comptable, pour être expert-comptable et commissaire aux comptes, car j’adore ça et l’audit. Il y a un an, je devais faire un stage de commissariat aux comptes, mais il a été annulé en raison du covid. Et à l’époque, je n’aurais jamais pensé que j’allais faire autant de sport en un an ! Je voulais avoir une vie assez “lambda” on va dire, en m’habillant le matin avec un petit costume et faire un petit footing le soir pour décompresser.  Mais depuis, ça a beaucoup changé. J’ai besoin de faire du sport et je ne me vois plus être dans un bureau à l’heure actuelle. Je n’ai pas non plus envie de tout planifier à 2,3 ou 10 ans. Je vais déjà finaliser mes études en parallèle du triathlon, ce qui est déjà assez compliqué ! Mais j’ai aussi ce besoin d’apprendre et de voir autre chose que mon compteur.

« Sur la course à pied, je n’ai pas encore réussi à “me faire mal” (…) Je pense que je peux encore progresser. »

Côté sport, tu viens de la gymnastique puis de l’athlétisme, puisque tu es une ancienne coureuse de l’AC St Paul. En décembre 2020, tu déclarais d’ailleurs être revenue à tes premiers amours sur piste, en gagnant le 1500 m du Meeting International de La Réunion en 4’45’’85. Un “passif” de coureuse qui t’a très souvent permis de construire tes victoires et podiums en triathlon avec des courses à pied de feu. Mais quelle est du coup la discipline dans laquelle tu sens la plus forte marge de progression ?

Ah… (elle réfléchit) c’est dur… Je sais qu’en natation, j’ai du retard par rapport aux autres, mais je pense que même si je bosse encore, encore et encore, j’aurai toujours du retard ! (rires) J’ai beaucoup progressé en vélo car j’en ai fait beaucoup plus, mais je dirais la course à pied. Sur format half, il faut savoir gérer la course à pied et je n’ai pas encore réussi à “me faire mal”. Je me mets “minable” sur les 2 derniers kilomètres car je sais que je peux le faire, mais je n’ai jamais vraiment souffert en commençant la course à pied hyper fatiguée ou en ayant cette sensation de lutter tout le long. Pour tout ça, je pense que je peux encore progresser à pied.

Si on ne se trompe pas, ta saison n’est pas finie. Quel objectif principal te reste-il d’ici la fin de l’année ?

Je ne sais pas si on peut dire “objectif” car ce n’était pas du tout prévu. Je vais participer au Clash Daytona le 4 décembre, mais je considère plus cette course comme une étape vers mon objectif principal de 2022 que seront les championnats du monde 70.3 à St George. À Daytona, ça sera une course hors-norme qui va me permettre de prendre de l’expérience en étant au milieu des plus fortes. Et de les voir en vrai déjà ! (rires)

Qualifiée pour les championnats du monde Ironman 70.3 en 2022… Un aboutissement ou juste une étape pour Kona ?

Ouh la ! Je ne sais pas du tout ! Le premier objectif, c’est déjà les championnats du monde 70.3 l’an prochain. Pour l’instant, je ne me projette pas du tout sur la full distance ou Kona. Ceci dit, je ne pensais pas du tout pouvoir me qualifier pour St George… Mais la prochaine étape, c’est aussi la qualif’ de Clément pour que je sois complètement sereine et contente d’aller à St George. (rires)

Pour finir, à quoi pourrait ressembler ta saison 2022 ?

Elle pourrait ressembler à des courses plus à l’international, pour me jauger et voir où j’en suis sur des épreuves plus stratégiques et beaucoup plus relevées. Tout en conservant des courses françaises bien sûr. Les niveaux sont de toute façon tout le temps différents et en train d’évoluer. Si ça se trouve, l’an prochain, il y aura une athlète très forte qui sortira de “nulle part”, ou bien j’aurai plus de mal de mon côté, on ne sait pas. Tout ce que je peux souhaiter, c’est de réussir autant sur le circuit international que français.

L’interview décalée – 30 secondes full gas !

Ce que tu aimes le plus ? Le chocolat !

Ce que tu détestes le plus ? Quand quelque chose est mal organisé.

Ton plus gros défaut ? Je suis un peu speed !

Ton plat préféré ? Les ravioles.

Ta musique préférée ? Rise, de Lost Frequencies.

Ton idole ? Lucy Charles-Barclay.

Ton astuce matos ? Je suis nulle en matériel ! (rires)

Ton truc spécial “made in Marjolaine” ? Être féminine : je porte des bijoux en course.

Ta devise ? « Ti hach i koup gro bwa » (en créole, « une petite hache peut couper du gros bois »)

Ton plus grand soutien ? Mon entourage.