Article paru dans le magazine 215 _avril 2022 / Rédigé par Simon Billeau
« L’Homme est un animal tropical ». Cette citation que je dois à mon professeur d’université Benoit Dugué est une très bonne façon de synthétiser ce que nous sommes et où nous pouvons vivre ‘’naturellement’’. Par naturellement, j’entends que le corps humain est capable de s’adapter à un milieu ambiant chaud alors qu’il lui est impossible de survivre dans une région au climat froid hormis en accumulant les épaisseurs de vêtements… Mais qu’en est-il en triathlon ? Comment s’acclimater efficacement à des conditions chaudes (et parfois humides) ? Faut-il s’entraîner dans la chaleur pour améliorer ses performances ? Nous vous en dévoilons un peu plus pour vous éviter la surchauffe…
Le triathlon (à l’exception du triathlon des neiges ou triathlon d’hiver) est un sport qui se pratique en général durant l’été. Les triathlètes sont donc soumis à des températures ambiantes qui ont un impact sur leurs performances, mais pas seulement. Heureusement, la thermorégulation est une fonction biologique importante, non seulement pour la performance sportive, mais aussi pour la sécurité de l’athlète. La thermorégulation est une fonction innée qui est également entrainable. L’entraînement dans la chaleur est reconnu scientifiquement pour améliorer les performances. L’entraînement en ambiance chaude induit une amélioration progressive de la capacité de l’organisme à évacuer la chaleur et une réduction du débit d’utilisation du glycogène musculaire. Par ailleurs, l’entraînement à la chaleur aide à s’acclimater aux ambiances chaudes et/ou humides des lieux de compétition, mais pas seulement. Il semblerait que l’entraînement en ambiance chaude aide également à améliorer les performances réalisées dans un climat froid.
Cet article présente un rapide aperçu des mécanismes par lesquels la chaleur corporelle est dissipée chez un individu. Ensuite, nous nous intéresserons aux effets d’un entraînement dans un environnement chaud. Enfin, nous vous donnerons quelques conseils pour optimiser les adaptations voulues.
1ère partie : Mécanismes et fonctionnement de la thermorégulation
Peut-être ne le savez-vous pas déjà mais seulement 25% de l’énergie totale produite est utilisée par les muscles. Le reste de l’énergie est notamment utilisée pour dissiper le surplus de chaleur. Lors d’une exposition à un milieu chaud, la chaleur métabolique produite est transportée par le sang circulant à la surface du corps, où elle est libérée dans l’environnement, soit par rayonnement et convection, soit par évaporation de la sueur. C’est ce que l’on appelle la thermorégulation.

Évidemment, la thermorégulation est affectée par le milieu ambiant. S’il fait chaud, le gradient de température entre la peau et le milieu extérieur peut s’inverser. Ainsi, il est plus difficile au corps humain de conserver une température constante. Lorsque l’exercice est prolongé et que la réhydratation corporelle n’est pas adéquate, le volume sanguin total peut être compromis. De plus, à mesure que la température centrale augmente pendant l’exercice, de plus grandes proportions du volume sanguin sont distribuées aux vaisseaux cutanés, diminuant ainsi le volume sanguin disponible pour les muscles locomoteurs, puis réduisant efficacement aussi le retour cardiaque et le volume sanguin central. Lors d’exercices prolongés, l’efficacité des glandes sudoripares intervient. En effet, après un laps de temps à produire 1 à 2 litres de sueur par heure, les glandes sudorales se fatiguent et stoppent leur activité. L’absence de sueur augmente inévitablement la température corporelle.
2e partie : Effets de l’entraînement à la chaleur

Tout le monde ou presque se souvient de cette ligne d’arrivée à la coupe du monde de triathlon à Cozumel ou Jonny Brownlee a subi un coup de chaud et a franchi la ligne d’arrivée grâce au soutien de son frère, Alistair. On connaît pourtant le jusqu’au-boutisme et l’engagement total des frères Brownlee pour leur sport. Cependant, personne n’est épargné par la chaleur. Sans parler d’acclimatation pour une course dans un milieu chaud et/ou humide, l’entraînement à la chaleur est maintenant bien documenté et montrerait que la chaleur aiderait à améliorer des adaptations physiologiques et psychologiques pour la performance en triathlon, tout comme l’altitude aide l’organisme à produire naturellement une hormone qui produit les globules rouges. L’entraînement à la chaleur est donc maintenant intégré dans la planification des athlètes, soit par des stages d’entraînement dans des régions chaudes soit par des chambres thermiques et autres outils. Pour reprendre l’exemple des frères Brownlee, ils ont transformé leur pain cave pour y inclure une structure dans laquelle ils ont 4 radiateurs, le vélo d’appartement et le tapis roulant.
« L’entraînement à la chaleur est maintenant intégré dans la planification des athlètes, soit par des stages d’entraînement dans des régions chaudes, soit par des chambres thermiques et autres outils. »
Ils s’y entraînent 3h par semaine à environ 35 degrés. Les recherches scientifiques ont montré qu’il faudrait entre 60 à 90 minutes par jour pour une élévation de la température corporelle d’un à deux degrés pendant une période de 4 à 10 jours pour obtenir des résultats significatifs. Ces études ont observé une diminution de la température corporelle de repos, un volume de plasma sanguin plus élevé et un taux de sudation plus élevé également.Les raisons qui expliquent que l’entraînement à la chaleur fonctionne également dans un milieu tempéré ou froid sont liées au fait que les adaptations sont d’ordre central. En effet, avoir un volume de plasma sanguin plus important est bénéfique quelle que soit la température extérieure. L’entraînement à la chaleur a également un effet sur les vaisseaux sanguins. En effet, la chaleur semblerait dilater ces vaisseaux et donc de plus gros volumes de sang pourraient irriguer les muscles locomoteurs en besoin d’oxygène.
Enfin, on se concentre quasi exclusivement sur les adaptations physiologiques, mais l’entraînement à la chaleur semble également améliorer les facteurs psychologiques. En effet, l’entraînement à la chaleur apporterait des bénéfices au sein du système nerveux central et l’aspect psychologique. Le Professeur Nybo de l’Université de Copenhague a publié des résultats des ondes cérébrales enregistrées durant des contre-la-montre de 60 minutes dans des chambres thermiques à plus de 35 degrés. Il a observé que les cyclistes avaient un rapport des ondes alpha-ondes bêta en hausse, ce qui est un signe d’une diminution de la vigilance et de la concentration.
Les ondes cérébrales de la fonction cognitive sont intimement liées à la performance physique. Dans un environnement chaud, le cerveau n’est pas capable de recruter autant de fibres musculaires. L’augmentation de la température du cerveau et sa moindre activité contribuent à une augmentation de la fatigue ressentie et donc du temps maintenu avant épuisement total. Pour celles et ceux qui ont des connaissances scientifiques de la Théorie du Gouverneur Central, le cerveau joue le rôle de régulateur de l’effort. Pour cela, le cerveau intègre et analyse à chaque seconde de multiples données (d’origines périphériques et centrales). Grâce à l’analyse de ces données, le cerveau détermine l’intensité de l’effort en régulant le nombre d’unités motrices recrutées pour l’effort (une unité motrice est l’association d’un neurone et des fibres musculaires qu’il commande). Il faut savoir que le nombre d’unités motrices mises en action détermine la puissance d’un effort. Plus il y aura d’unités motrices recrutées, plus la vitesse sera élevée.
L’intérêt de cette régulation organisée par le cerveau est de pouvoir anticiper, et s’adapter instantanément et en permanence de façon à accomplir l’effort demandé sans atteindre la rupture de l’équilibre physiologique de notre organisme. Le cerveau se préoccupe donc de maintenir notre équilibre vital et, pour éviter toute défaillance physiologique, il crée la fatigue qui, selon Tim Noakes, serait une émotion plutôt qu’un événement physique.
« S’entraîner à la chaleur est une solution pour créer des adaptations majeures. »
3e partie : Conseils pour l’entraînement à la chaleur
Vous l’avez compris, s’entraîner à la chaleur est une solution pour créer des adaptations majeures. Des solutions existent, que cela soit de s’entraîner dans un endroit chaud, ou de se confectionner une chambre thermique. Inutile de dépenser des milles et des cents. J’ai le souvenir de Courtney Ogden, vainqueur de l’Ironman à Koh Samui à 3 reprises en Thaïlande, s’entraînant dans sa blanchisserie avec le sèche-linge rempli de serviettes mouillées. De même, si vous avez accès à un sauna, y passer 30 minutes après une séance permet d’accroître les gains.

Si vous n’avez pas de sauna à disponibilité, un bain chaud de 15 minutes à 40 degrés pendant une semaine a montré des gains significatifs. On ne le répétera jamais assez, mais l’hydratation est primordiale, surtout si vous vous apprêtez à courir dans une région chaude et/ou tropicale. Cependant, durant l’entraînement à la chaleur, la déshydratation semblerait booster les gains de cette méthode. Attention cependant à ne pas trop user et abuser de ce critère afin de ne pas entamer votre système immunitaire. Un conseil dans ce domaine est de réaliser un test de sudation. Le test en soi est relativement simple. Il suffit de se peser avant et après effort et de mesurer la différence de poids en tenant compte des apports hydriques si vous consommez des fluides. Il faut diviser la différence de poids par le temps d’exercice qui devrait être entre 45 minutes et 2h pour des raisons physiologiques. Cela vous aidera à adapter votre hydratation à l’entraînement et en course. La perte de sodium est aussi très importante dans le processus de sudation. Réaliser un test avec un expert pour estimer les pertes permet de recharger de façon optimale afin de conserver des contractions musculaires efficientes.
Par fortes températures, les dépenses en glycogène musculaire sont accrues. Cependant, le glucose exogène (celui qui est ingéré durant la course) est selon des études moins utilisé par l’organisme. Il n’empêche, pour ménager les stocks et pour les efforts allant au-delà d’une heure, pensez à vous ravitailler régulièrement en glucides et si possible en boisson très fraîche. Il est judicieux de choisir des vêtements adaptés facilitant le transfert de chaleur et l’évaporation de la sueur au niveau de la peau. Pour cela privilégier les vêtements amples, légers, aérés et de couleur blanche.
Côté alimentation, des apports en protéines issues du thon et du poulet maigre aident à augmenter le taux de dopamine, l’hormone du bonheur. En effet, un taux de dopamine plus élevé aura pour conséquence une meilleure acclimatation mentale à la chaleur.
