Le défi « Elements » est né dans la tête de mon ami Ludovic Chorgnon, plus connu sous le nom de Ludo le Fou. Spécialiste de l’ultra-endurance et détenteur de nombreux records du monde extrêmes, il a notamment réalisé 41 Ironman en 41 jours, l’Ironman le plus haut du monde au Ladakh, la traversée des Annapurna en courant ou encore celle de la Manche à la nage.

J’ai rencontré Ludo il y a quelques années à La Réunion, totalement par hasard. Je venais tout juste de terminer le mythique triathlon vertical (0–3000) et cherchais un moyen de rejoindre ma voiture stationnée à Saint-Pierre. Ludo m’a alors proposé de me redescendre à moto. Le courant est immédiatement passé.

J’étais fasciné par ses connaissances dans le monde de l’ultra-distance, de la gestion du mental, du sommeil et de l’effort sur la durée. De son côté, il s’intéressait à mon expérience du sport de haut niveau. Très vite, une amitié sincère est née.

En voyant mon intérêt grandissant pour l’ultra-endurance, et sachant que nous partageons un amour profond pour l’île de La Réunion et pour les sports de montagne, Ludo a imaginé un défi multisports unique : faire le tour de l’île et de ses trois cirques en enchaînant un maximum d’activités sportives, le tout en 50 heures non-stop.

L’objectif était clair : mettre en valeur cette île intense que nous aimons tant, faire découvrir la beauté exceptionnelle de ce territoire, véritable paradis pour les sports de montagne et d’aventure.

Après plus de vingt ans d’hyperspécialisation dans mon sport, j’ai pris, depuis la fin de ma carrière professionnelle, un immense plaisir à découvrir et à apprendre de nouvelles disciplines : trail, parapente, escalade, triathlon…

Ludo a ainsi imaginé un défi qui cochait toutes les cases :

  • Mettre en lumière La Réunion, notre île de cœur
  • Enchaîner l’ensemble des sports praticables sur l’île
  • Me faire découvrir l’ultra-endurance au-delà de 24 heures

Le défi sportif était immense, mais le défi logistique l’était tout autant : 30 activités, 12 sports différents en 50 heures. Et comme son nom l’indique, *Elements* imposait aussi de composer avec les éléments naturels, notamment pour les activités aériennes et aquatiques.

Le projet fut reporté une première fois suite à une blessure de Ludo au mollet, puis une seconde fois à cause de conditions météo défavorables.

Mardi 25 novembre, 5H45 :

Le départ est finalement donné à 6h, dans le ciel, à 4 200 mètres d’altitude, au-dessus de l’aérodrome de Pierrefonds proche de Saint-Pierre. À bord de l’avion du Paraclub de Bourbon, nous nous préparons pour un saut en parachute.

Ludo saute seul. N’ayant pas la qualification, je saute en tandem avec Jérôme Servais, directeur technique du club.

Lorsque la porte de l’avion s’ouvre, j’enclenche mon chronomètre. L’aventure commence par une chute libre à 200 km/h au-dessus du lagon. Une décharge d’adrénaline pure.

À peine posés, nous enfourchons nos vélos direction les hauteurs de Saint-Leu, vers le décollage parapente des Colimassons : 27 km et 900 m de dénivelé positif. Les nuages descendent dangereusement. J’incite Ludo à accélérer, malgré le risque de partir trop vite pour un effort de 50 heures… mais l’envie de voler est plus forte.

Mardi 25, 8H30 :

Arrivés au déco, nos amis Benoit et Alexis (Volvanik et Ascendance parapente) nous avaient déjà dépliés nos parapentes, nous n’avons pas voulu attendre notre camion d’assistance de peur de manquer la fenêtre météo alors nous avons effectué le vol en tenue et chaussures cycliste, une première pour nous. J’ai effectué l’un de mes plus beaux vols, je n’ai que 45 vols au compteur je suis un débutant dans cette activité passionnante.

Une fois les pieds, ou plutôt les chaussures de vélo, posés dans le sable nous avons repris nos vélos pour un petit trajet d’une dizaine de kilomètres afin de rejoindre la Saline-Les-Bains et son lagon paradisiaque que nous avons longé en nageant sur 3 kilomètres, nous sommes sortis de l’eau dans la zone touristique de Saint Gilles et sommes repartis à bord d’un kayak double sur 4 kilomètres pour rejoindre la partie nord du lagon.

Cette partie aquatique n’était sur le papier pas celle qui me faisait le plus vibrer mais j’ai adoré cela m’a permis de me remettre les idées en place après les sensations fortes éprouvés dans les airs, cela nous a rafraichis car nous commencions à avoir très chaud et nous avons profité d’un courant favorable, j’avais presque l’impression d’être bon nageur ! En revanche nous avons fait preuve une vraie désynchronisation sur le kayak, nous avons avancé en zig-zag mais nous avons bien rigolés d’autant plus que nous avions à ce moment-là une bonne avance sur notre timing prévisionnel.

Mardi 25, 13H30

Nous avons pu prendre une douche afin de nous déssaler avant de repartir à vélo en direction du nord, nous avons longé la cote, passé Boucan Canot, Saint-Paul, Le port puis La Possession, 30 kilomètres avec peu de dénivelé. Notre camion d’assistance nous attendait à l’entrée du mythique sentier des Anglais, l’un des derniers secteurs redoutables de la Diagonale des fous.

Nous nous sommes changés et avons gravi en courant ce chemin constitué de grosses pierres volcaniques, la chaleur et l’humidité étaient terrible nous avons pris une belle averse au sommet ce qui a rendu notre descente vers La Grande Chaloupe assez délicate. Cette petite heure de trail a été bien éprouvante, le premier effort qui a laissé des traces.

A la sortie du sentier des Anglais, nous avons repris les vélos et traversé Saint-Denis, la capitale de La Réunion. Ce n’était clairement pas la partie la plus agréable du parcours, mais elle était nécessaire pour rejoindre l’Est de l’île. Ces 35 kilomètres nous ont finalement conduits vers les hauts de Sainte-Marie, point de départ de notre session de canyoning.

Mardi 25, 18H00

Notre équipe d’assistance nous y attendait ainsi que Thierry Gillet notre ami et guide de haute-montagne qui allait nous accompagner durant les 15 prochaines heures.

Nous avons commencé le canyoning de Bassin Boeuf à la tombée de la nuit, nous avons effectué le premier grand rappel avec les dernières lueurs du soleil puis avons poursuivi avec des frontales. Descendre dans des cascades et sauter dans des vasques d’eau en pleine obscurité était une expérience incroyable. Je pensais que cette activité serait peu énergivore mais je suis sorti bien rincé (c’est le cas de le dire…).

Nous sommes sortis de la rivière aux alentours de 21H, nous avons repris nos vélos pour un gros morceau : 60kms et 2200m de dénivelé positif afin d’entrer dans le cœur de l’ile, nous avons traversé le cirque de Salazie et gravit le terrible col de Bœufs qui est le point d’accès Est vers le cirque de Mafate. Thierry qui est un excellent cycliste (en plus d’être un guide hors pair) était vraiment facile dans cette montée.

Mercredi 26, 1H00

Le col se termine en cul-de-sac à 2 000 mètres d’altitude. Nous y arrivons à minuit trente. Un ravitaillement conséquent nous y attend avant de plonger dans le cirque de Mafate, où nous serons hors de portée de notre camion pendant plus de douze heures.

Un rougail-saucisse chaud était prévu, mais les plaques de cuisson refusent de fonctionner. Affamés, Ludo et moi décidons de le manger froid. Un choix que nous regretterons par la suite : nous sommes rapidement pris de maux de ventre et de troubles gastriques. Difficile de savoir si le rougail en était la cause, mais cela nous vaudra de nombreux arrêts tout au long de la traversée de Mafate…

Thierry a de son côté mangé plus léger et a minutieusement préparé le matériel d’escalade puis nous sommes partis pour la traversée de Mafate, après 6 heures de marche en pleine nuit nous sommes arrivés à l’aube au pied du rempart des 3 Salazes coté Mafate, le versant non tracé, Thierry nous a installé des cordes afin de grimper sur la crête séparant le cirque de Mafate de celui de Cilaos. Nous avons ensuite évolué en escalade sur cette crête d’à peine un mètre de large et avec jusqu’à 400m de vide de chaque côté. Le panorama y est incroyable. J’étais impressionné par la maitrise avec laquelle Thierry installait les cordes et le matériel, nous permettant d’évoluer en toute sécurité. 

Au bout de cette crête, nous avons effectué plusieurs descentes en rappel dont certaines de plus de 70m afin de rejoindre le col du Taibit.

Mercredi 26, 12H30

A midi trente nous étions sortis du Cirque de Mafate et avons pu nous ravitailler au camion d’assistance. Nous avons remercié Thierry, puis Ludo et moi sommes partis en VTT pour une dizaine de kilomètres vers « le Bloc », point de départ de la montée vers le piton des Neiges.

Mercredi 26, 17H00

Nous avons attaqué un autre gros morceau, la terrible montée vers le point culminant de l’Ile à 3070m puis la traversée vers Salazie, soit 7H de trail.

Les 1500m de dénivelé positif pour rejoindre le Piton ont été éprouvants, nous étions dans le brouillard et sous une petite pluie fine, quelques randonneurs montaient vers le Gite de la Caverne Dufour mais au-dessus plus personne.

J’ai pris un peu d’avance sur Ludo, j’étais totalement dans mes pensées, je me parlais tout seul, j’ai commencé à avoir mes premières hallucinations. Puis à l’approche du sommet mon esprit est redevenu plus clair tout comme le ciel : une éclaircie s’est ouverte. 

Ludo m’avait dit : « il y a une chance sur un million qui fasse beau au sommet, nous allons avoir cette chance », j’adore son optimisme… il avait eu raison d’y croire ! Je lui crie de se dépêcher, qu’il faut monter le plus vite possible. Nous effectuons les derniers mètres au sprint afin de profiter de la rapide éclaircie. 

A 17H nous sommes au sommet. Quel bonheur.  Nous immortalisons ce moment par quelques photos. Mais nous ne pouvons pas nous attarder : nous avons pris du retard. 

Une très, très longue descente nous attend, plus de 2000m de dénivelé négatif, mes jambes commencent à souffrir. Je connaissais la première partie de la descente dans les pierres mais je n’imaginais pas que la deuxième partie serait bien pire, le sentier Cap Anglais avec des racines, des marches de toutes tailles, de la boue et flaques d’eau, des parties ou il faut s’accrocher aux arbres, un véritable enfer… 

Nous pensions arriver avant la tombée de la nuit mais nous avons dû sortir nos frontales bien avant la fin de la descente.

Les hallucinations sont de plus en plus fréquentes, je vois le totem de Koh-lanta, un sac à dos et une casquette, un chien… Ludo voit une cabane de jardin, nos esprits divaguent, je perds totalement la notion du temps. Nous commençons à avoir vraiment faim, nous rêvons du repas chaud qui nous attend à Hell-Bourg, nous prévenons l’équipe de notre retard. Ce fichu sentier n’en finit pas… 

Mercredi 26, 21H00

Nous arrivons à Hell-bourg couverts de boue. Douche chaude, repas chaud tant attendu, mais pas question de s’attarder l’heure tourne et notre retard est désormais conséquent.

Nous repartons à vélo vers Saint-Benoît à L’Est de l’Ile, 30 kilomètres à profil descendant, dès les premiers virages Ludo se fait une grosse frayeur en manquant un freinage, je me positionne ensuite devant lui afin de lui ouvrir la route, notre camion d’assistance nous suit et nous éclaire.

Mercredi 26, 23H00

A 23H nous embarquons dans nos rafting une place pour la descente de la rivière des Marsouins, le ciel est parsemé d’étoiles mais la lune minuscule n’éclaire pas.

Nous descendons dans l’obscurité totale. Je profite de chaque temps mort entre les rapides pour m’allonger sur mon bateau et fermer les yeux quelques secondes. Je lutte vraiment contre le manque de sommeil. 

Jeudi 27 00H30

Nous reprenons les vélos de route en direction du sud et des coulées de laves.

Jeudi 27, 2H00

Transition rapide, puis nous sautons sur nos VTT pour explorer le bike park de Sainte-Rose, des sentiers serpentent sur la coulée de laves de 1977. Nous gardons les VTT pour avancer un peu plus vers le Sud et rejoindre la coulée de lave de 2004.

Jeudi 27, 4H00

Nous arrivons sur le site de spéléologie. Au moment de se changer (à nouveau) je craque, je n’arrive plus à garder les yeux ouverts, j’attrape une des couvertures qui protège nos vélos dans le camion, je la jette au sol dans les cailloux, et je demande à Ludo de me laisser 5 min. Je fais une sieste éclair de 4 min qui me redonne de l’énergie puis nous partons sous terre explorer le tunnel de lave.

Jeudi 27, 5H30

Lorsque nous revenons à la surface le soleil est levé. Voir la lumière du jour fait bien fou.

Nous remontons sur les vélos de route afin de finir la boucle et rejoindre Saint-Pierre. Nous n’avançons plus très vite mais nous savons qu’il ne reste plus beaucoup de chemin. Nous y sommes presque.

Jeudi 27, 8H00

Arrivés devant le CHU de Saint-Pierre, nous enfilons les chaussures de running pour la dernière fois. Il nous reste 4 kilomètres sur le front de mer, en sens inverse du départ de la Diagonale des Fous.

Jeudi 27, 8H30

Après 50H30 d’efforts, nous franchissons la ligne d’arrivée au port de Saint-Pierre, une partie de notre équipe d’assistance nous y attend.

Le défi est réussi.

Merci Ludo pour cette idée folle, merci à notre équipe d’assistance, merci à nos guides (Thierry pour la montagne, Benoit et Alexis pour le parapente, le paraclub Bourbon pour le parachute, Pierrick pour le Canyoning).