Article paru dans le magazine 213 _février 2022 / Rédigé par Simon Billeau

Étant donné la nature d’un triathlon, la distance cycliste est typiquement beaucoup plus longue que celles de natation et course à pied, que cela soit un triathlon sprint ou un Ironman. Par conséquent, les triathlètes devraient essayer non seulement de maintenir un certain niveau de puissance, mais aussi de se focaliser sur l’économie de locomotion. L’économie est un indicateur important pour prédire les performances cyclistes en termes de temps pour effectuer une distance. L’économie et la puissance sont déterminées par l’interaction entre le résultat mécanique produit et la ressource physiologique requise. Alors quel est l’effet de la longueur du bras de manivelle sur l’économie et la performance en triathlon ?

Théoriquement, l’amélioration de l’économie engendre une meilleure performance cycliste en contre la montre et/ou des moindres exigences physiologiques (par exemple, taux de consommation d’oxygène : VO2max , fréquence cardiaque) à compléter une distance donnée. La longueur des manivelles est un des facteurs importants parmi beaucoup de variables qui ont un effet sur l’économie et la performance en cyclisme. Donc, la sélection appropriée de la longueur des manivelles peut jouer un rôle clé dans l’amélioration de la partie cycliste d’un triathlon.

Vous savez sûrement que ces dernières années, la tendance est à la réduction de la longueur des manivelles. Mais est-ce justifié ? Quelle longueur utilisent les meilleurs pros ? Nous allons tenter de vous expliciter les intérêts et les inconvénients de manivelles courtes et longues, d’un point de vue biomécanique, physiologique et aérodynamique. Nous allons étayer nos propos en se penchant sur le cas des 14 meilleurs pros hommes à Kona en 2019. Enfin, nous vous donnerons quelques astuces pour optimiser votre position si vous souhaitez vous aventurer à tester des longueurs de manivelles différentes.

De nombreuses études ont tenté d’identifier les effets en changeant la longueur des manivelles au niveau physiologique et biomécanique. Martin et Spirduso, 2001, ont montré que la cadence de pédalage optimale est diminuée alors que la vitesse optimale de la pédale est augmentée. Ces deux paramètres représentent des phénomènes physiologiques distincts. Spécifiquement, la vitesse de la pédale joue sur la vitesse à laquelle un muscle se contracte. Or, la force de la contraction décroît avec l’augmentation de la vitesse de la pédale. De plus, cette étude a démontré un plus grand angle de flexion pour les hanches et les genoux. Ils ont également déterminé la longueur optimale de manivelles pour produire une puissance maximale anaérobie en fonction de la longueur d’entrejambe, Cela correspond selon eux à 20%. Concrètement, si vous avez un entrejambe de 87cm, il vous faudrait des manivelles de 174 mm. 870 x 20 % = 174 mm

Mais la puissance maximale anaérobie n’a que peu de corrélation avec la performance à des efforts sous-maximaux. Le système aérobie joue un rôle majeur même à des intensités entre 80 et 99% de la puissance maximale. Ainsi, le seuil anaérobie, ou FTP, est une bien meilleure valeur pour déterminer les effets de la longueur des manivelles. Des études se sont intéressées aux effets de la longueur des manivelles à des intensités sous maximales. Des longueurs de manivelles de 110 à 265 mm ont été testées sans que cela n’engendre d’écart dans le VO2max et le coût énergétique. Juan Garcia-Lopez et collaborateurs, 2017, ont montré que 3 longueurs de manivelles différentes (préférée, + et -5 degrés) n’engendrent pas de différence de fréquence cardiaque. Ils ont également noté qu’il n’existait pas de différence de coût métabolique pour les manivelles plus longues comparées aux deux autres longueurs.

Une autre question importante a été soulevée par Mileva en 2003 concernant les muscles et les articulations. Avec une manivelle plus longue, le pied (et la pédale) couvre une plus grande circonférence. Cela signifie qu’à la même cadence, le pied parcourt une plus grande distance, et donc plus de vitesse. Il a été montré que l’allongement de la manivelle de 155 à 195 mm a conduit à une augmentation des valeurs d’angle et de la vitesse angulaire (aussi appelée le couple) du genou lors de la flexion et de l’extension. Une augmentation du temps d’activation (avec une plus grande intensité) du muscle ischio-jambier a également été observée ainsi qu’une augmentation de l’intensité d’activation des muscles soléaire et tibial antérieur. Ce dernier ne subit aucune modification du temps d’activation et il en va de même pour les muscles droits fémoraux, tandis que le soléaire a un temps d’activation diminué.

Ainsi, si l’on résume la littérature, voici les avantages que vous seriez en droit d’attendre d’une réduction de la longueur de vos manivelles :

  • Réduit le stress sur les articulations et les muscles, prévient les blessures et soutient la performance
  • « Ouvre » certains angles (hanches et genoux) et permet ainsi une meilleure respiration, nutrition et hydratation, et diminue la pression sur la vessie. Inversement, garder les mêmes angles peut améliorer l’aérodynamisme en abaissant l’avant du vélo
  • La diminution de la pression sur la zone abdominale permet une meilleure perfusion  des membres inférieurs, réduisant la compression de l’artère fémorale
  • Facilite le maintien d’une cadence de pédalage légèrement supérieure
  • Améliore la transition vélo-course, causant moins de fatigue musculaire
  • Ne crée pas de perte de puissance significative

Mais comme vous le savez bien, ce n’est jamais aussi simple. Si l’on se réfère aux caractéristiques anthropométriques et la détermination de la longueur des manivelles décrites par Ron Haney, la même personne ayant un entrejambe de 870 mm devrait utiliser des manivelles de 187 mm en utilisant l’équation suivante : Entrejambe x 0.216

Cela fait une différence majeure de 13 mm par rapport à la préconisation de Martin et Spirduso. Cela peut paraître excessivement long mais tentez l’exercice suivant chez vous : debout contre un mur, en cabrant votre buste dans une position aéro, levez une jambe le plus haut possible. Notez une marque sur le mur avec un stylo. En divisant cette hauteur par 2, vous obtenez la longueur de manivelle maximale que vous pouvez utiliser (en n’oubliant pas d’enlever le stack height dans l’équation qui représente la hauteur entre l’axe de la pédale jusqu’au dessous de votre pied. Il faut donc additionner la demi-épaisseur de la pédale, la chaussure et la semelle).

Enfin, si vous souhaitez expérimenter avec des longueurs de manivelles plus longues, ne choisissez pas forcément la longueur maximale que votre liberté articulaire vous permet. N’oubliez pas qu’il faut effectuer de très nombreux tours de manivelles pour boucler un triathlon. Comme vous venez de le constater, nous sommes capables de pédaler avec des manivelles bien plus longues que ce que nous utilisons communément. L’avantage majeur est d’avoir un couple plus grand. En effet, le levier est plus long. Faites l’expérience de desserrer un boulon avec une clé dont le levier est court. Il faut appliquer beaucoup de force pour réussir. Essayer de desserrer ce même boulon avec une clé dont le levier est deux fois plus long. C’est bien plus facile… C’est la même chose pour ouvrir une porte. On place la poignée à l’extrémité pour avoir le levier le plus long possible. Il serait bien plus difficile d’ouvrir une porte si la poignée se trouvait proche des charnières. Cependant, en cyclisme, le patron de locomotion est une boucle fermée, ce qui veut dire que le levier que l’on gagne durant la phase où l’on est efficient est également plus grand dans la phase où il faut soulever la jambe antagoniste. Avec la réduction des angles articulaires, il s’ensuit généralement une diminution de la cadence de pédalage. Ce que vous gagnez d’un côté, vous le perdez de l’autre. Mais si vous réussissez à garder la même cadence alors votre puissance en sera démultipliée.

Passons maintenant en revue ce que les 14 meilleurs pros au dernier championnat du monde de Kona utilisaient. Cela aide en général à se faire une idée de ce qui fonctionne. Voici un tableau avec le nom des athlètes, leur taille (en cm), la longueur de leur manivelle (en mm) et leur temps à vélo.

De ce tableau, on peut calculer la taille moyenne de ces athlètes en Top 14. On peut également calculer la longueur de manivelle moyenne et le temps médian. Il en ressort que la taille moyenne est de 181 cm. Les manivelles utilisées sont en moyenne de 168.75 mm et le temps à vélo médian est de 4h21’14’’.

On s’aperçoit que 5 athlètes utilisent des manivelles de 170 mm, ce qui correspond à 1.25 mm près la moyenne. 6 athlètes utilisent des manivelles plus courtes et 3 utilisent des manivelles plus longues. Concernant les temps à vélo, la tendance est inversée. Si l’on prend les 7 meilleurs temps à vélo, 2 athlètes utilisaient des manivelles de 170 mm, 2 utilisaient des manivelles plus courtes et 3 en utilisaient des plus longues.

On voit donc que ce qui est issu de la science ne se confirme pas forcément sur le terrain. Cependant, au vu de la taille de ces athlètes, s’ils suivaient les recommandations de certains spécialistes en positionnement, ils pourraient utiliser des manivelles bien plus longues, ce qu’ils ne font pas car ils ont surement testé en soufflerie l’intérêt aérodynamique des manivelles plus courtes

En effet, plus les manivelles sont courtes, plus la selle est haute et donc le dos est plus à l’horizontale. Mais à l’opposé, des manivelles plus longues permettent de réduire la hauteur de selle. S’il est possible de réduire la hauteur du cockpit, l’aérodynamique est donc améliorée de façon plus importante qu’avec les manivelles courtes. Par ailleurs, la stabilité est également améliorée du fait d’un centre de gravité plus bas. Seul bémol, il faut faire attention sur les terrains techniques car les manivelles sont plus proches du sol dans les courbes.

Vous savez sûrement que la plupart des fabricants de vélo et de groupes périphériques (Sram, Shimano, Campagnolo, Rotor, …) proposent des pédaliers avec des manivelles comprises entre 155 et 180 mm. Peu de marques proposent des manivelles plus longues.

Nous vous donnons quelques astuces pour tester par vous-même :

  • Il est possible de surélever le boîtier de pédalier avec des boîtiers dits ‘excentriques’.  Ils permettent de placer le boîtier plus haut mais aussi en arrière ce qui est un double  avantage en augmentant l’angle de selle et par conséquent l’angle des hanches.
  • La marque taïwanaise Aerozine permet d’ajuster la longueur de votre manivelle de 165 à 175 mm. De même, la marque Hase offre un pédalier avec des manivelles ajustables de 65 à 165 mm de long et cela sans outil. Enfin, la marque américaine High Sierra Cycle dispose de 3 pédaliers ajustables permettant des longueurs de manivelles entre 120 et 220 mm de long, ou tout comme moi, vous pouvez vous en faire faire sur mesure par un spécialiste des matériaux composites. En France, le leader dans le domaine est Christophe Chiron qui est également un triathlète assidu (Mateduc Composite https://www.mateduc-composites.com/fr/)
  • Il est pertinent de se renforcer musculairement. Du fait d’un trajet plus grand du pied, il est donc conseillé de faire des exercices avec des plages angulaires plus grandes. Par exemple, si vous faisiez des demi-squats, tentez de faire des squats complets.
  • Pensez également à vous étirer notamment au niveau des hanches et des membres inférieurs, tout spécialement les ischio-jambiers et les mollets plus intensément sollicités.

En conclusion, la longueur des manivelles est un sujet qui a été longuement étudié dans la littérature, mais les gains marginaux associés à des manivelles plus courtes ou longues semblent être très faibles. Il convient donc d’expérimenter afin d’obtenir la longueur de manivelles optimales pour votre pratique, vos besoins, votre singularité anthropométrique, biomécanique et physiologique.