Article paru dans le magazine 226_Avril 2023 / Rédigé par Simon Billeau et photos de Patrocleats – SB

Des 3 points de contact avec un vélo, les pédales sont de loin le plus important. En effet, les pédales jouent un rôle majeur dans la transmission de la puissance que vous développez et qui sera transmise au vélo pour avancer. De par leur caractéristiques : poids, espace de la plateforme de la pédale à la semelle, Q factor (c’est à dire la distance latérale entre le centre de la pédale jusqu’à l’extérieur de la manivelle), la forme… Les pédales doivent être choisies avec toute l’attention qu’elles méritent.

Historiquement, si l’on regarde les statistiques du comptage de vélos au championnat du monde IR0NMAN à Kona sur la dernière décennie, on peut voir que l’hégémonie de Look (39% en 2012) s’est effritée et que les parts de marché des 3 marques sur le podium (Shimano a 32% et Speedplay a 20%) se sont réduites au profit de 2 marques offrant des capteurs de puissance intégrés à leur pédales (Favero et Garmin, 0% en 2012 pour les 2 marques contre 16 et 13% respectivement en 2022).

Cette évolution était prévisible et les grands “joueurs” dans cette catégorie tentent de reprendre leur marche en avant (Look avec SRM, Speedplay avec Wahoo). Mais un nouveau “joueur” vient de faire son entrée dans la cour des grands. C’est souvent un passage compliqué pour de nombreuses compagnies. Par exemple, Tririg ou Aerolite sont des fabricants qui ont centré leur produit sur la légèreté uniquement et du coup leurs ventes restent limitées. Tririg a d’ailleurs discontinué ses pédales.

En ce qui concerne, Patrocleats, leur pédales, qui se nomment les TT22, ont été spécialement étudiés pour répondre aux attentes et aux exigences du triple effort. Le design est révolutionnaire car il a été dessiné à partir d’une feuille blanche, plutôt que de s’inspirer de ce que les concurrents proposent déjà et d’en faire une copie avec quelques variations. En disant cela, vous comprenez que le design en fait un produit qui sur le papier devrait attirer la communauté triathlétique à s’intéresser à ce produit, mais en pratique, on sait que les triathlètes comme les cyclistes sont relativement lents à essayer de nouveaux produits malgré leur ingéniosité.

J’avais repéré ce produit en amont du salon de l’Eurobike l’année dernière et j’étais déjà convaincu de l’intérêt hors norme de ce produit pour notre sport et tout particulièrement pour le triathlon longue distance. J’avais rencontré Niels Erikstrup au stand des start-ups innovation. Ce grand Danois, double finisher d’Ironman, qui s’est installé en Suisse récemment, a un parcours d’ingénieur en mécanique. Sa passion pour le triple effort était palpable tout au long de notre échange et après 45 minutes de discussion, il a accepté de me livrer l’un des très rares exemplaires créés à l’époque (il en avait fabriqué 30 au total au moment de l’Eurobike en juillet 2022).

Dans un premier temps, je vais vous en faire une description la plus précise possible et comparer les caractéristiques des Patrocleats contre la concurrence. Dans un second temps, je vous livrerai un avis personnel et quelques résultats obtenus en soufflerie grâce à nos experts français de chez Aeroptimum à Nevers Magny-Cours.

Des poids plumes pour du lourd

Commençons en fanfare par le poids de cette paire de pédales. À juste 152 grammes (poids mesuré pour les 2 pédales) et 18 grammes pour les cales, c’est de loin plus léger que le plus proche compétiteur “connu” qui n’est autre que les Wahoo Speedplay Nano à 168 grammes pour les pédales, mais 81 grammes pour les cales. En revanche, c’est plus que les Aerolite à 99 grammes incluant les cales.

Mais en considérant que les cales d’Aerolite n’utilisent pas les 3 ou 4 trous standards des équipementiers de chaussures, ces pédales sont entre guillemets inutilisables sans modification de vos semelles. Quand on connaît l’importance de l’inertie sur des objets en rotation, la légèreté doit donc être parmi l’un des critères à prendre en compte.

Le poids des jantes des roues est différent car si les jantes sont relativement lourdes, elles sont difficiles à mettre en action. Cependant, grâce à l’inertie, elles permettent de conserver plus facilement une vitesse régulière sur terrain plat. Ce n’est pas du tout le cas pour les pédales. Chaque gramme doit être poussé puis tiré et cela de manière synchrone. On sait qu’en course à pied, une différence de 100 grammes sur les chaussures a une incidence néfaste de 1% sur le coût énergétique. Le poids des pédales affecte également l’efficience du pédalage.

Un stack height à… 9 mm

Ensuite, il y a ce que nos voisins anglo-saxons appellent le “stack height” c’est à dire la distance verticale allant de l’axe de la pédale jusqu’au contact de votre pied. Cela inclut donc l’épaisseur de la pédale, l’épaisseur de la cale et la semelle de vos chaussures. Mais pour que les fabricants de pédales puissent se comparer entre eux, ils omettent volontairement l’épaisseur de vos semelles.

Cette distance est très importante en termes de performance, car plus le stack height est élevé, plus il y a une déperdition d’énergie due au couple de bascule. Ce couple de bascule est intimement lié aux efforts des muscles pour stabiliser le pied sur la pédale, à cause du levier crée par cette distance.

Les pédales Patrocleats TT22 ont un stack height de 9 mm, ce qui est très proche des Speedplay (8,5 mm). Comme chaque utilisateur Speedplay le sait, ces dernières utilisent des cales à 4 trous. Or, la majorité des chaussures du marché ont un système de fixation de 3 trous. Il faut ainsi ajouter un adaptateur qui ajoute quelques grammes et 3 millimètres. Ou alors, il vous faut vous restreindre dans votre champ des possibles en vous orientant vers une marque de chaussures qui propose une semelle à 4 trous. Pour le reste des marques, on est en-dessous des 13 mm que ce soit pour Time (13,5 mm), Look (14,8 mm) ou Shimano (14,6 mm).

Une surface de contact pédales/chaussures au top

Par ailleurs, un autre critère qui est important dans la performance des pédales est l’écartement des pieds sur les pédales. D’une part, le pédalier en lui-même, selon les fabricants, a des Q Factor différents. Mais les pédales ont également des distances entre l’extérieur des manivelles jusqu’au centre des pédales différentes. Le Docteur Xavier Disley, notamment célèbre dans le monde du cyclisme via sa société basée en Angleterre qui s’appelle Aerocoach UK, a démontré en 2012 dans son étude scientifique qu’une distance la plus étroite possible est plus efficiente pour le travail mécanique de pédalage. En effet, il émet l’hypothèse que l’application des forces est améliorée lorsque le Q Factor est plus petit. La plupart des équipementiers de pedales ont des ‘’Q Factor” entre 52 et 54 mm et Patrocleats n’échappe pas à la règle avec ses 53 mm.

De plus, la surface de contact entre les pédales et les chaussures est un facteur primordial pour notamment améliorer le transfert de force mais aussi et peut-être surtout pour réduire la pression localisée sur une partie du pied. En effet, plus la surface de contact entre la pédale et la chaussure est grande, plus la pression est distribuée sur cette surface engendrant moins d’échauffement ou d’engourdissements.

Chez Patrocleats, les TT22 ont une surface de contact de 890 mm2 contre les 725 mm2 pour Time ou 700 mm 2 pour les Look Keo. Shimano et Speedplay ne renseignent pas ces champs ce qui dénote selon moi un manque de transparence. Et en général, quand l’information n’est pas livrée c’est qu’elle dérange.

Des pédales design, et aéro !

2 critères sont encore à prendre en considération. Il s’agit de l’aérodynamisme et du placement de l’axe des pédales par rapport à la chaussure. On sait bien que les équipementiers font preuve de peu d’intérêt pour l’aérodynamisme dans cette catégorie de composants, du fait notamment d’un espace hautement turbulent notamment lié au cycle de rotation des pédales. Patrocleats affirme que leur pédales ont bénéficié d’étude en CFD (Computational Fluid Dynamics, mécanique des fluides numérique). Speedplay, par exemple, en 2009, via son ingénieur Richard Bryne avait testé ses pédales contre deux concurrents à 48 km/h. Ses résultats lui valaient d’affirmer un gain de 33” par heure.

Aujourd’hui, Patrocleats compare ses TT22 aux Speedplay Aero et soutient un avantage de 10” sur la distance Ironman, du fait de la forme et du design des pédales. Il est à noter que des gains supplémentaires sont possibles du fait d’une tige de selle abaissée. Cela n’a pas été le cas lors de notre test en soufflerie à Magny-Cours en comparant les Patrocleats TT22 aux Favero Assioma ou les Speedplay Nano.

On a observé une augmentation du drag de l’ordre de 6 watts contre les Patrocleats. Mais il convient d’expliquer que la hauteur de la tige de selle n’a pas été modifiée lors des essais avec les Patrocleats. Or, il aurait fallu abaisser entre 15 et 30 mm. Pour des raisons de reproductivité, on n’est pas allé sur le versant de modifier l’angle du tronc. Or, du fait du recul de l’axe des TT22 par rapport aux cales, mes jambes s’allongeaient plus à chaque révolution et à chaque passage du point mort bas, la surface frontale exposée de mes jambes était plus grande. Dans un prochain essai, il conviendrait de pouvoir abaisser la tige de selle, mais aussi et surtout la hauteur du poste de pilotage afin de garder des angulations corporelles similaires et donc réduire la drag translationnel. On vous tiendra informés dans un prochain article.

Un recul de 2 cm, un placement “midfoot”

Pour ce qui est du placement de l’axe des pédales par rapport aux cales, vous l’avez compris, les Patrocleats ont cela de spécial qu’elles permettent un recul de 2 cm. Pour certains, cela revient à pédaler avec un placement des cales proche du milieu du pied que l’on nomme “midfoot” en Anglais. Si vous n’avez jamais entendu parler de midfoot, sachez que 2 des plus grands champions du triathlon LD que sont Jan Frodeno et Daniela Ryf ont utilisé avec succès ce placement des cales. Les chaussures Bont qui sponsorisent notamment Jan ont sorti un modèle exclusivement pour la position midfoot associé aux pédales Speedplay, c’est dire si la tendance commence à se faire sentir dans la communauté triathlétique.

L’intérêt de reculer l’axe de la pédale par rapport aux cales est de limiter voire d’annuler le levier de la cheville. Recruter les muscles du mollet peut être judicieux pour les cyclistes qui souhaitent produire de grosses accélérations ou des sprints, mais l’articulation de la cheville, pour les efforts de longue durée à intensité constante, ne fait que perdre de l’énergie durant un cycle de pédalage du fait de la chaîne de locomotion dite fermée. Ainsi, les pistons des cuisses et des jambes peuvent produire leurs mouvements de va et vient sans l’intervention de muscles peu volumineux, positionnés à l’extrémité distale. Par ailleurs, cela permet de les économiser pour la course à pied subséquente, où ils sont essentiels dans le patron de locomotion. Des études ont d’ailleurs montré l’effet sur la performance en triathlon grâce à ce genre de pedales ou d’adaptateurs comme l’étude de SA Evans en 2021.

Un clispage inédit à apprivoiser

Pour finir, mon test de longue durée (9 mois) s’est composé d’une familiarisation avec le produit pendant un mois sur home-trainer du fait notamment d’un clipsage peu conventionnel. En effet, pour ce qui est de l’ensemble des pédales du marché, il convient d’appliquer une pression vers le bas en s’assurant au préalable que la protubérance antérieure est placée en dessous la retenue puis l’arrière est maintenue par un ressort. Avec les Patrocleats, il faut d’une part placer son pied en commençant par loger la protubérance postérieure dans la retenue de la pédale, puis presser vers le bas. C’est l’inverse du mouvement que l’on a automatisé pendant des années.

Selon moi, le plus mauvais point de ces pédales est qu’il n’y a pas de réglage de la rétention de la cale. Sur d’autres marques, on peut ajuster cette tension et donc modifier la facilité d’insertion ou de désengagement mais aussi à l’inverse maintenir solidement attaché l’un à l’autre l’ensemble cale-chaussure. Ici, ce n’est pas possible et cela m’est arrivé de déclipser par accident en me mettant debout sur les pédales. Toujours dans le domaine des cales, le design est simpliste et ne s’embarrasse pas de superflu.

En effet, pour la liberté latérale, au lieu d’avoir des cales de différentes couleurs en plastique offrant un angle de liberté par cale, ces Patrocleats TT22 sont conçues avec une butée antérieure dont le cône a 2 diamètres différents. Le cône étroit offre plus de liberté latérale (15 degrés) contre 7 degrés pour le cône épais. Il y a aussi la possibilité d’ajuster la position des cales grâce aux rondelles de fixation. 2 trous par rondelles sont placées de manière excentrique, ce qui fait donc que 4 positions distinctes sont possibles avec des écarts de 3 mm entre chaque position.

Pour conclure

Pour ce qui est des points positifs, j’adore le poids de ces pédales. Après l’échauffement, on oublie presque que l’on tire des pédales vers le haut. Les révolutions s’enchaînent avec aisance, tout particulièrement quand le terrain est accidenté. Pour ce qui est du recul de l’axe, j’apprécie énormément ce critère, car il me permet d’utiliser mes muscles locomoteurs pour le pédalage comme les fessiers, quadri et ischios-jambiers, et de délaisser les mollets.

Sur les séances au seuil anaérobie ou sur mes tests FTP, j’ai toujours roulé avec une moyenne de 15 watts supplémentaires. Cependant, il faut garder à l’esprit que, du fait de ce placement des cales, les chaussures peuvent toucher l’arrière de la roue avant si vous faites un demi-tour à basse vitesse (ce qui arrive parfois sur des triathlons).

Du fait d’une construction en imprimante 3D, on pourrait s’attendre à un produit dont l’espérance de vie est réduite par rapport à des produits en carbone ou en plastique dur. Mais c’est se tromper. Après 9 mois, j’en suis toujours aux premières paires de cales qui m’ont été données. Les pédales en elles-mêmes sont en très bon état et les axes continuent à tourner comme la 1ère fois, sans n’avoir fait aucune maintenance particulière (graisse, changement des roulements…). Enfin, à 259 €, ces pédales sont très bien placées en considérant qu’elles se placent sur une marche du podium pour de nombreux critères.

Selon moi, ces pédales ne parviendront peut-être pas à surpasser des marques bien installées dans la hiérarchie car le “midfoot” ne correspond pas forcément à tout le monde. Mais je suis persuadé qu’elles vont percer dans le triple effort. Les gains sont réels, les chiffres ne mentent pas!

Plus d’informations: https://mid-foot-cycling.com/fr