Article paru dans le magazine 213 _février 2022 / Rédigé par Geoffrey Memain et photos Activ’images / freepik

Le Swimrun est un sport d’endurance de pleine nature engendrant des demandes spécifiques dans divers domaines : physiologique, psychologique et technico-tactique. L’entraînement enchaîné swimrun est atypique, très efficace mais souvent difficile à mettre en place à cause des conditions de pratique. Il est donc courant pour le swimrunner de s’entraîner dans une discipline de manière isolée (natation ou course à pied trail) et possiblement de les enchaîner directement (courir pour aller à la piscine nager revenir de la piscine en courant) ou indirectement (nager le matin, courir le soir ou inversement). Le multi-enchaînement est pour la majorité des swimrunners compliqué à mettre en place notamment hors des saisons météo clémentes (printemps-été) et lorsque les athlètes ne vivent pas dans un lieu (ou proche) propice à cet exercice. Une importante inégalité de moyen de pratique existe. De plus, il s’agit d’une discipline d’endurance contraignante physiquement et mentalement, avec la répétition de gestes cycliques (mouvement de nage et foulée). Il est donc pertinent de réfléchir à d’autres types d’entraînements, en dehors ou en complément de la natation et de la course-trail, pour prévenir la survenue de blessure et progresser en swimrun tout au long de la saison par l’intermédiaire d’activités sportives annexes.

Nous allons présenter la notion d’entraînement croisé (ou cross-training en anglais), ses intérêts et limites dans la progression en swimrun ; mais aussi quelles applications pratiques sont réalisables dans notre discipline.

L’ENTRAÎNEMENT CROISÉ

L’entraînement croisé peut être défini comme l’utilisation de la pratique d’une discipline annexe pour impacter positivement l’état de forme et le niveau physique du swimrunner dans son sport de prédilection. Il s’agit donc de mixer plusieurs activités au sein d’un même cycle d’entraînement (exemple : intérêt du vélo pour le travail de la course à pied longue distance). L’objectif est de rechercher des sports dont l’entraînement permet des adaptations physiologiques (musculaires, nerveuses et énergétiques) et/ou techniques, tactiques, psychologiques transférables dans la pratique du Swimrun. C’est une manière de travailler répandue dans les sports d’endurance, et encore plus dans les disciplines de saison (ski, biathlon, trail, triathlon …).

« L’entraînement croisé est bénéfique pour les domaines musculaires, mentaux, énergétiques et moteurs, à la fois pour la prévention et la performance. Et cela dans la majorité des pratiques sportives notamment pour les disciplines d’endurance. »

INTÉRÊTS DU CROSS TRAINING

Le cross-training a été l’objet de nombreuses études des sciences du sport et de leurs chercheurs. Le but étant de découvrir et de comprendre les intérêts d’un entraînement dans une discipline autre que sa spécialité. Ces recherches ont été appuyées par l’empirisme des cycles de travail de certains sportifs de haut-niveau qui utilisaient le vélo, la course ou le trail pour préparer la saison de sports d’hiver (ski de fond, alpin, biathlon …) et même d’autres types de sport tels que le hockey sur glace, le patinage, le surf… L’autre indice en faveur de l’entraînement croisé est issu du terrain, avec la capacité de certains athlètes à performer dans un nouveau sport après leur retraite (Laura Dalmehier du biathlon au trail, Laurent Jalabert du cyclisme au triathlon et bien d’autres). À noter que le cheminement se fait généralement entre ou vers un sport d’endurance et rarement d’une pratique d’endurance vers une discipline technico-tactique. Cela est notamment dû au fait que les principaux effets du cross-training ne prennent que peu en compte l’aspect technico-tactique.

Le premier intérêt de l’entraînement croisé est la prévention. Ce type de travail amène de la variété dans la pratique, ce qui limite significativement les notions de contraintes, de monotonie et de lassitude physique et mentale, réduisant alors les risques de surentraînement. La motivation est conservée et la longévité encouragée. En effet, la possibilité de progresser en swimrun en effectuant des séances autres que nager et courir  augmente fortement les alternatives de contenu de travail. Varier les sollicitations à la fois physiques et mentales permet au swimrunner de réduire les contraintes sur certaines zones anatomiques fortement utilisées : genou, épaule, dos, cheville… Il est aussi possible d’user d’un sport annexe pour se renforcer (stabilité articulaire, qualité de gainage…) en vue de performer en swimrun. Ces deux concepts composent l’aspect préventif du cross-training. 

Le second intérêt réside dans les adaptations liées à l’entraînement croisé, notamment concernant les facteurs cardiovasculaires et musculaires nécessaires à la performance. En effet, le développement de la VO2max, de la capacité aérobie et des données physiologiques de l’organisme (nombre de mitochondries, volume d’éjection systolique notamment lors d’effort en position horizontale, niveau de fréquence cardiaque, densité capillaire et leur fonctionnement) est transférable entre de nombreuses activités (cyclisme, course à pied, step – course …). Les niveaux de seuils restent spécifiques à la discipline, mais ils peuvent être influencés par le cross-training. Il a été montré que la performance en course était optimisable par l’entraînement sur vélo, mais l’inverse n’est pas vrai notamment à cause du facteur limitant musculaire à vélo qui empêche les non-cyclistes d’atteindre leur haut niveau de VO2max (10-20% de moins). 

D’un point de vue musculaire, la pratique de sports demandant des qualités de gainage (surf, kayak, aviron, ski de fond…) vont impacter positivement la musculature du tronc permettant à l’athlète d’être plus “solide”. Le travail de musculation fait partie des pratiques intéressantes de cross-training, notamment la force maximale, l’endurance de force, le core-training, la proprioception et la pliométrie qui améliorent significativement la performance dans les sports d’endurance par des facteurs neuromusculaires impactant notamment le coût énergétique. Le développement de la cage thoracique et des muscles respiratoires n’est pas à négliger, tout comme la hausse de la dépense énergétique permettant l’affûtage corporel du swimrunner.

Le troisième intérêt réside dans l’amélioration de la motricité générale qui participe à la fois à prévenir les blessures et à performer en swimrun.

L’entraînement croisé est donc bénéfique pour les domaines musculaires, mentaux, énergétique et moteur, à la fois pour la prévention et la performance, et cela dans la majorité des pratiques sportives notamment pour les disciplines d’endurance.

LIMITES DU CROSS TRAINING

Malgré ces avantages indéniables, le cross-training a comme tout autre type d’entraînement des inconvénients. Tout d’abord musculairement, la pratique d’un sport provoquant une hypertrophie (même légère) de muscles non spécifiques à sa discipline peut entraîner une baisse de la performance par gain de masse corporelle. La notion de non spécificité est au centre des limites de l’entraînement croisé. En effet, l’athlète ne va-t-il pas détériorer ou stagner d’un point de vue neuromoteur, technique et tactique ? Chaque geste sportif nécessite une coordination fine et une répétition gestuelle impératives pour l’efficacité et l’efficience motrice. Il convient donc de conserver une pratique spécifique soutenue pour travailler cette spécificité. La gestuelle n’est pas le seul facteur spécifique étant difficile à solliciter de la même manière qu’avec sa discipline de prédilection, il y a aussi : la thermorégulation, la posture d’effort, la balance d’intensité de sollicitation musculaire-énergétique, l’utilisation du matériel, l’hydratation et la nutrition (habitudes gastriques), la prise de repère (navigation), le type de respiration, les intensités cibles spécifiques, ou encore la coopération avec un équipier. 

L’usage de plus en plus courant de l’entraînement polarisé (80% d’effort à intensité modérée et 20% d’haute intensité) facilite et renforce la pratique moins spécifique du cross-training,  notamment pour les sports aérobies de longue durée qui utilisent des sports annexes pour augmenter les volumes d’entraînement à intensité modérée

« Diversifier sa pratique afin de conserver sa motivation et sa longévité. »

APPLICATIONS PRATIQUES EN SWIMRUN

Il est très courant que des athlètes de haut-niveau issus de sports différents utilisent le cross-training pour optimiser leur performance : Jenson Button (Champion du monde de Formule1) préparait ses saisons automobiles par le triathlon et Martin Fourcade (ogre du Biathlon mondial) réalise son travail foncier en été sur divers pratiques (vélo, trail, patin roulette). On peut s’attendre à voir se multiplier l’arrivée d’anciens spécialistes de la natation, de trail ou des sports d’enchaînement (dont le triathlon) dans les compétitions de swimrun. D’ailleurs, il est déjà courant de voir des très bons triathlètes devenir rapidement d’excellents swimrunners (David Hauss, Cédric Fleureton…) non seulement par la pratique de la nage en eau libre et du trail, mais aussi du cyclisme.

Concernant le swimrun, les études ont démontré un bon transfert des adaptations du cyclisme, de la musculation (force maximale et pliométrie) et d’autres activités telles que le ski de fond vers la course à pied. Le transfert de la natation vers la course à pied paraît limité (amélioration de la VO2max en natation sans impact sur le tapis de course, Mc Ardle). Il est intéressant d’utiliser des disciplines comme le cyclisme ou le ski de fond pour augmenter le volume d’entraînement lors des cycles à dominante aérobie afin de limiter les risques de blessures tout en transférant les adaptations vers le swimrun. Il faut conserver les séances de nage tout au long de la saison pour conserver la gestuelle technique et aussi car le transfert d’adaptations est moins efficace (G.Millet). 

La musculation (gainage, force maximale, endurance de force, proprioception) va être importante pour la prévention (limitation des contraintes) et la performance (transfert de force et économie de course). Les sports d’eau tels que le surf permettent de travailler la thermorégulation avec notamment la capacité à résister au froid, immergé sur de longue période ; ainsi que la position horizontale et le geste de rame proche du mouvement de nage. 

Certaines spécificités du swimrun sont difficiles à solliciter par d’autres pratiques : la thermorégulation au chaud (avec la combinaison notamment), la navigation, la coopération, l’usage du matériel, le multi-enchaînement et la gestion de l’hydratation-alimentation (influencée par les chocs, l’eau froide, la combinaison et le changement de position).

CONSEILS SUR L’ENTRAINEMENT CROISÉ

  • Intéressant tout au long de la saison, plus pertinent en période de récupération, d’intersaison et de travail foncier plutôt qu’en période de préparation spécifique.
  • Choisir de manière réfléchie les disciplines annexes pratiquées en fonction de ses besoins, de ses préférences, de ses possibilités d’entraînement (horaires, infrastructures, climat) et de la pertinence des caractéristiques transférables vers le swimrun.
  • Ne pas hésiter à diversifier sa pratique afin de conserver sa motivation et sa longévité dans le swimrun.
  • Calibrer correctement ses séances et sa récupération en cross-training car l’activité exercée peut être moins maîtrisée.
  • En profiter pour progresser sur certains points faibles (gestion du froid, gainage, position horizontale, stabilité du genou et/ou de la cheville), sur sa motricité générale et étoffer son expérience.
  • Partager d’autres types activités sportives avec son partenaire pour encore mieux se connaître et se comprendre lors des swimruns.
  • Ne pas compter QUE sur l’entraînement croisé pour progresser; le travail spécifique reste le plus efficace et important, surtout pour les sportifs de haut niveau.
  • Utiliser le cross-training lors des périodes de blessures ou de pépins physiques.

L’entraînement croisé est donc une bonne alternative de développement pour le swimrunner, notamment pour ceux dont les conditions de pratique spécifique sont limitées. Le transfert des adaptations cardiovasculaires, musculaires voire psychologiques et technico-tactiques de certaines disciplines vers le swimrun sont indéniables (même si parfois limitées). Il s’agit donc de bien choisir les activités annexes à pratiquer et de déterminer une planification et une programmation d’entraînement pertinentes à cette utilisation. 

En plus de cette mise en place d’adaptations communes, l’entraînement croisé trouve son intérêt dans la prévention des blessures et le maintien de la motivation de pratique en variant les sollicitations physiques et mentales. Les risques de lassitude, de blessure et de surentraînement sont alors limités. L’entraînement croisé est donc un outil supplémentaire pour étoffer et optimiser la pratique du swimrunner dans des buts de progression, de prévention, de plaisir et de longévité.