Article paru dans la rubrique entraînement de TrimaX-magazine n°232. Par J.B Wiroth, Docteur en Physiologie de l’Exercice

Avec la saison de triathlon qui se termine, la pratique d’autres sports d’endurance prend tout son sens pour diversifier l’entraînement et se régénérer mentalement. Le trail running, ou “course à pied sur chemins”, fait partie des sports qui sont faciles à pratiquer en toute saison. En outre, le trail running présente de nombreux intérêts pour les triathlètes. Voyons pourquoi.

Photo L. Lecourtier / Activ'images

Les spécificités du trail running

En trail, les phases de montée, mais surtout de descente, requièrent beaucoup de force pour faire face à la gravité. Pendant l’effort, la fatigue survient donc beaucoup plus vite qu’en course à pied “classique”. Après l’effort, les dommages musculaires sont potentiellement assez importants. On a tous expérimenté les courbatures plus ou moins gênantes au niveau des quadriceps après avoir fait un trail en étant insuffisamment préparé !

Dans une étude récente menée par Marlène Giandolini, il a été montré que la fatigue en trail dépend de l’exercice considéré, en particulier du type de contraction prédominant, qui diffère entre la course à plat, la montée et la descente. La course en montée ou en descente présente plusieurs caractéristiques spécifiques, comparativement à la course à plat.

Lorsqu’elle est prolongée, la course en descente entraîne d’importantes lésions des tissus, mises en évidence indirectement par des augmentations massives de la concentration plasmatique de créatine kinase, en myoglobine ou en marqueurs inflammatoires.

Lorsque l’effort se prolonge (ultra trail), une fatigue nerveuse dite centrale est observée comme l’a exploré Guillaume Millet dans une étude très récente. Les auteurs ont tenté d’expliquer pourquoi la fatigue centrale est plus importante en ultra-trail comparativement à l’ultra-cyclisme. En effet, la baisse de force maximale volontaire (le principal marqueur de la fatigue) est beaucoup plus importante en trail… Pourquoi ? De multiples hypothèses sont actuellement explorées pour expliquer la fatigue centrale et périphérique spécifique à l’ultra trail : perturbations biochimiques, déstructuration morphologique des fibres musculaires…  

Quelle que soit l’avancée des connaissances scientifiques, une chose est certaine : l’entraînement du système neuro-musculaire (musculation spécifique) est stratégique en trail. 

« Le trail running permet d’améliorer la proprioception et de renforcer les articulations. Après un cycle de trail, on sera plus “solide” au niveau articulaire. »

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5 points d’intérêt pour les triathlètes

1-Travail technique


En raison de la nature inégale du terrain, le travail cognitif est très important en trail, contrairement à la course sur route ou sur stade. En effet, éviter les rochers, enjamber les branches, éviter de glisser sont autant de gestes techniques qui rendent le trail beaucoup plus technique.
De plus, le côté instable du terrain oblige l’athlète à optimiser sa motricité (la manière de se propulser et de se mouvoir dans l’espace). Courir dans la boue, sur du sable ou tout simplement sur un terrain rocailleux oblige à contrôler finement ses appuis afin de maintenir une économie de course optimale. En trail, on est obligé d’ajuster sa foulée en temps réel en fonction du terrain et de la déclivité. Le système nerveux est donc mis à forte contribution.

2-Amélioration de la force et de la résistance musculaire


En trail, l’alternance de montées et de descentes génère un travail musculaire beaucoup plus intense qu’en course sur route ou piste. Bien entendu, cela dépend du dénivelé du parcours et du poids du coureur. Plus spécifiquement, il est bon de rappeler que le travail musculaire en montée est de type “concentrique”  (les fibres musculaire se raccourcissent lorsque le muscle se contracte), alors qu’en descente, le travail musculaire est de type “excentrique” (ie : les fibres s’étirent alors que le muscle se contracte). Ce dernier type de travail est particulièrement exigeant pour les muscles et entraîne une véritable “casse » au sein des fibres musculaires. Cette “casse” se traduit par de nombreuses micro-lésions à l’origine des courbatures, qui in fine contribuent à générer des adaptations intéressantes en termes de gain de force. 

3-Prévention des blessures


En fonction de la diversité des terrains pratiqués (chemins, sous bois, prairies, pierriers), le trail running permet d’améliorer la proprioception et de renforcer les articulations. Après un cycle de trail, on sera plus “solide” au niveau articulaire.

4-Diversification de l’entraînement

Comme le souligne David Hauss dans l’interview qui suit, le trail running permet de diversifier l’entraînement, sans être soumis aux contraintes habituelles de vitesse ou de chrono à respecter. Bref, en trail on s’entraîne de manière naturelle, ce qui est forcément régénérant.*

5- Éveil des sens
Le trail running est une activité “ancestrale”, puisque les premiers hommes devaient déjà courir sur les traces laissées par les animaux sauvages pour se déplacer et chasser. C’est donc une activité très naturelle qui permet à chaque pratiquant de renouer avec la nature tout en éveillant de nombreux sens : vision, olfaction… Tout en évoluant dans un environnement naturel.

Photo L. Lecourtier / Activ'images

En pratique 

  • En premier lieu, il convient d’investir dans des chaussures de trail à semelle cramponnée. On ne peut pas courir en sécurité sur des chemins techniques avec des chaussures de running normales, à fortiori si le terrain est humide et glissant. Toujours prévoir une pointure de marge pour ne pas avoir le pied qui butte sur l’avant de la chaussure à chaque descente. Cela peut devenir très vite douloureux (et créateur d’ongles noirs).
  • Soyez progressif dans les distances de course. N’oubliez pas que le dénivelé augmente significativement la charge d’entraînement. En effet, 100 m de dénivelé positif équivaut à 1 km de course à plat supplémentaire. Ainsi, si vous partez pour une course tout terrain de 10 km avec 500m de D+, cela équivaut à 15 km sur le plat. Utile pour faire des comparaisons entre ses parcours trail et ses parcours classiques (plats).
  • N’hésitez pas à compléter votre entrainement trail avec du renforcement musculaire des jambes, en travaillant dans un premier temps sur un régime concentrique (squats, fentes, montées en pointe de pied…). Dans un second temps, le travail de type pliométrique sera très efficace (squats sautés, multibonds, fentes sautées, box jumps…).
  • Si vous envisagez des séances de trail un peu longues, prévoyez toujours de quoi vous hydrater et vous alimenter. En outre, prévoir une veste imperméable et une casquette si vous partez en montagne. Cela peut être utile en cas d’orage ou de problème physique. Pour transporter tout cela, un petit sac type “camelback” sera bien utile.
  • En termes de planification, la pratique du trail est une activité idéale durant l’intersaison, notamment pour décompresser un peu de l’entraînement triathlon et se changer les idées. Cependant, il est tout à fait envisageable de conserver une séance hebdomadaire tout au long de l’année, y compris pendant la saison de triathlon (avril – septembre).

« Les triathlètes ont beaucoup à gagner à s’aventurer sur les sentiers pour la sollicitation de leur filière aérobie, mais aussi pour un transfert de compétence d’un point de vue biomécanique. »

L’expert vous répond 

Pour compléter cet article, nous avons posé quelques questions à David HAUSS, 4e des JO de Londres en 2012, et reconverti dans le trail à la fin de sa carrière. Son regard croisé sur la complémentarité trail et triathlon nous a paru intéressant.

Bonjour David, peux-tu rappeler ton parcours triathlétique aux lecteurs qui ne te connaissent pas bien ?

Bien sûr ! Originaire de l’Île de la Réunion, j’ai dû quitter mon île assez tôt pour suivre mon rêve olympique en triathlon. J’avais à peine 15 ans au début des années 2000, ça été difficile mais formateur. Je me suis alors établi dans le Var, près de St Raphaël, pour ma formation et pour gravir les échelons un à un vers le haut niveau, de la catégorie cadet à élite ! Ma carrière a duré une vingtaine d’années, passée sur le circuit national et international, allant des distances sprint à olympique. J’ai eu la chance de représenter mon pays de nombreuses fois aux championnats d’Europe et du monde, ou encore aux Jeux Olympiques à Londres qui fut l’apothéose de ma carrière avec une 4e place.

Comment et pourquoi as-tu « basculé » vers le trail ? 

C’est en 2017 que j’ai vraiment basculé vers la trail, une discipline que je pratiquais depuis pas mal de temps déjà, à raison de 1 ou 2 courses en pré-saison à la Réunion, pour préparer ma saison de triathlon. Jamais très long, 30 km max. C’était un bon moyen de faire autre chose et de se renforcer sur le plan musculaire, mais après avoir raté la qualif’ aux JO de Rio en 2016, j’ai eu besoin de couper. J’étais comme saturé de la pression inhérente à cette course olympique. J’ai donc cherché une nouvelle motivation, de nouveaux objectifs et je me suis tourné plus sérieusement vers le trail. Un sport nouveau pour moi dans sa gestion lorsque la course dépassait les 4h, comparé aux 1h50 que pouvaient durer un triathlon format olympique. Aussi le besoin de me rapprocher de la nature était plus fort que tout.

Tu as évolué au plus haut niveau en triathlon et en trail, quelles sont selon toi les qualités qui permettent de performer dans chacune de ces 2 disciplines ?

Je crois qu’il faut avant tout aimer s’entraîner, aimer se dépasser. Ce sont des sports qui demandent un investissement certain et prennent du temps alors il faut aimer ça foncièrement. Il faut être résilient face à la douleur. Je pense aussi que pour performer, mais encore plus pour durer, il faut être fort au sens premier du terme, avoir de la force, donc se renforcer par tout un tas d’exercices qui repoussent les blessures, mais surtout tirer le meilleur de nous-même. Bien sûr, la capacité à pouvoir s’entraîner beaucoup influe sur les performances dans le temps, donc techniquement il faut être au point et petit à petit la physiologie de l’organisme s’améliore. Et l’on peut repousser toutes ses filières vers le haut : sa VMA, son seuil, sa vitesse, son VO2. Facteurs déterminants à la haute performance.

Selon toi, quels sont les intérêts de la pratique du trail pour des triathlètes amateurs ?
Je crois beaucoup à l’entraînement croisé, dans un sens comme dans un autre ! Les triathlètes ont beaucoup à gagner à s’aventurer sur les sentiers de montagne pour la sollicitation de leur filière aérobie, mais aussi pour un transfert de compétence d’un point de vue biomécanique en matière de gestuelle et de sollicitation des groupes musculaires. Personnellement, cela m’a beaucoup apporté en termes de résistance musculaire, mais aussi pour casser la monotonie de l’entraînement hivernal. Bien que le triathlon comprenne 3 disciplines, j’éprouvais beaucoup de plaisir à partir pendant des heures sans me soucier du chrono et de l’allure à respecter. Et vice versa : les trailers qui feraient du triathlon peuvent volontiers intégrer loin de leur objectif des sports éloignés de leur discipline comme la natation, pour travailler la respiration ou repousser les phénomènes inflammatoires dus à la répétition des chocs. Pour un transfert physiologique accru, il est préférable d’aller vers du vélo, sur route ou sur Home Trainer. Cela peut être très bénéfique.

Quels conseils pratiques donnerais-tu à des triathlètes qui voudraient se mettre au trail ?  

Je conseillerais d’aborder chaque entraînement, chaque programme avec une notion de charge, c’est-à-dire d’intensité couplée au volume, et non pas seulement avec l’unique curseur du volume. Trop longtemps, et moi le premier, j’ai voulu en faire toujours trop, faire plus que la semaine précédente au détriment d’un travail de qualité qui nous fait nous épuiser à la longue, avec une baisse des performances et tout ce qui s’ensuit. Alors je résumerais cela par “moins s’entraîner pour mieux le faire.” Enfin, comme évoqué plus haut, ne pas laisser tomber les autres sports qui composent le triathlon, mais s’en servir comme un atout majeur vers la progression et l’épanouissement.

Références :

GIANDOLINI M. Fatigue associated with prolonged graded running. Eur J App Physiol. 2016 oct; 116(10:1859-73.

MILLET GY. The role of the nervous system in neuromuscular fatigue induced by ultra-endurance exercise. Appl Physiol Nutr Metab; 2018 Nov 43(11):1151-1157

WOLFE R.R. Skeletal muscle protein metabolism and resistance exercise.

Journal of Nutrition. 2006 Feb;136(2):525S-528S.