Article paru dans le magazine 225 _Mars 2023 / Rédigé par Jean-Baptiste WIROTH – PhD, Docteur en Sciences du Sport et Fondateur du réseau de coach WTS (www.wts.fr)

Les sportifs d’endurance ont recours à diverses méthodes d’entraînement pour se préparer en vue de leurs objectifs. L’entraînement à jeun fait partie des ces méthodes classiques. Cela consiste à s’entraîner sans avoir pris de repas au préalable. Généralement, les séances à jeun se font le matin au réveil, avant le petit-déjeuner. Dans cet article, nous allons détailler les arguments qui sous-tendent l’intérêt de l’entraînement à jeun (fasted training). Nous allons aussi présenter les différentes variantes possibles pour s’entraîner à jeun.

Que dit la physiologie ?

Au petit matin après une nuit de sommeil, et en l’absence de repas, on observe :

  • Une glycémie (taux de sucre dans le sang) plus basse que la normale
  • Un taux de cortisol sanguin (hormone du stress) élevé
  • Des réserves en glycogène hépatique (foie) réduites
  • Un estomac vide !

Ce contexte physiologique est particulièrement propice pour influencer le métabolisme énergétique. En effet, avec la réalisation régulière de séances à jeun, l’organisme va s’habituer progressivement à aller puiser l’énergie là où elle se trouve en quantité quasi-illimitée, à savoir dans la masse grasse.

La contrepartie de cet usage accru des graisses est une épargne des réserves de glycogène. Séance après séance, le corps apprend donc à être plus économe.

« Améliorer l’endurance en habituant l’organisme à aller puiser dans les réserves de graisse. »

Dès 2011, les études par les équipes du professeur Peter Hespel de l’Université de Louvain en Belgique ont ainsi montré qu’après 6 semaines d’entraînement à jeun (3 séances de 1 à 2h par semaine à 75% de VO2max) :

  • Le glycogène musculaire est mieux préservé
  • La capacité oxydative du muscle est améliorée notamment par le biais enzymatique
  • L’oxydation des lipides est modifiée positivement notamment par le biais d’une meilleure dégradation des triglycérides intramusculaires

En 2021, Tovar et al. de l’université de Californie ont montré que 4 semaines d’entraînement 16/8 (16h à jeun pour 8h en s’alimentant) permettaient de réduire la masse grasse, sans altérer la masse musculaire chez 27 coureurs masculins bien entraînés.

Les principaux bénéfices de cette méthode sont donc là :

  • Améliorer l’endurance en habituant l’organisme à aller puiser dans les réserves de graisse
  • Apprendre au corps à stabiliser sa glycémie en situation de déficit glucidique et d’exercice physique
  • Favoriser la perte de poids en “surconsommant” la graisse corporelle

Les dangers …

La méthode de l’entraînement à jeun n’est cependant pas dénuée de risques. De manière immédiate, le risque d’hypoglycémie est beaucoup plus important lorsque l’on s’est abstenu d’absorber un petit-déjeuner. Il est donc judicieux de prévoir une source de sucres rapides au cas où (gel). Dans la foulée de la séance, la survenue d’un coup de fatigue prononcée en fin de matinée est lui aussi fort probable.

À plus long terme, l’excès d’entraînement à jeun aura un impact cellulaire négatif : 

– Les acides gras essentiels, composants de base des membranes cellulaires, subissent une oxydation accélérée

– Le pool d’acides aminés va être entamé, notamment au niveau musculaire, entraînant la création de nombreux déchets azotés (urée, ammoniaque, corps cétoniques…)

Ce qu’il faut éviter de faire :

  • Rouler longtemps (plus de 1h30 dès la première sortie)
  • Rouler intensivement (rouler à plus de 80% FCmax)
  • Multiplier les séances à jeun (plus de 2 par semaine)
  • Rester à jeun après la séance

La méthode classique

Protocole :

  • Boire un grand verre d’eau plate dès le réveil
  • Se limiter à 20 minutes d’effort
  • Augmenter très progressivement l’intensité sans dépasser 80% de la FCmax
  • Prévoir un gel en cas d’hypoglycémie soudaine
  • Boire un grand verre d’eau à l’issue de la séance
  • Prendre un petit déjeuner reconstituant à l’issue de la séance

La progression passe essentiellement par l’augmentation de la durée des séances (sans toutefois dépasser 2h) et par la réalisation d’exercices de travail technique (pédalage sur une jambe, variations de cadence … etc) en restant dans une intensité d’effort basse à moyenne (< 80% de FCmax).

Après plusieurs mois d’entraînement régulier à jeun, il est possible d’introduire de courtes phases de travail intensif. De nombreux athlètes de haut niveau s’entraînent de la sorte, à commencer par les coureurs africains…

L’objectif de cette méthode est d’habituer l’organisme à utiliser la lipolyse et la néoglucogenèse pour produire de l’énergie pour l’organisme.

Les variantes

Variante 1 : Dormir “Low” puis s’entraîner à jeun

Le fait de s’entraîner en fin de journée puis de consommer un repas pauvre en glucides lors du dîner permet d’aborder la séance à jeun du lendemain avec des stocks de glycogène hépatique et musculaire au plus bas. La séance d’entraînement à jeun qui suit place donc l’organisme dans un état de déplétion glycogénique hépatique plus marqué que le simple entraînement à jeun.

Variante 2 : Débuter à jeun puis s’alimenter dans la seconde partie de la séance

Lors des séances à jeun de plus d’une heure, il peut être intéressant de terminer la séance en absorbant des glucides (une boisson énergétique par exemple). Cela permettra de limiter l’impact négatif de la séance à jeun, tout en préservant une intensité de travail significative. Cette méthode peut aussi aider à entraîner le tube digestif à assimiler les glucides dans un contexte particulier.

Variante 3 – S’entraîner 2 fois par jour

Lorsque l’on s’entraîne 2 fois par jour, l’objectif de la première séance est de réduire les réserves en glycogène, puis de s’alimenter sans absorber de glucides. La seconde séance est alors réalisée avec peu de réserves tant au niveau musculaire que hépatique. Plusieurs études ont montré que ce type d’entraînement permettait d’améliorer le métabolisme des lipides au niveau mitochondrial.

Variante 4 – Récupérer “low”

En temps normal, il est fondamental de prendre une collation de récupération à base de glucides et de protéines après une séance longue et/ou intense. L’objectif est d’optimiser la reconstitution des réserves de glycogène et de récupérer plus rapidement. Dans le cas de la variante consistant à récupérer “low”, il faut éviter de consommer des glucides pendant 1 à 2h après la séance. Ce procédé ralentit la récupération mais peut contribuer à “pousser” certaines adaptations physiologiques sur le plan de l’expression des gènes.

Le menu “post entrainement à jeun”

Deux options s’offrent au coureur qui vient de s’entraîner à jeun :

  1. Si l’objectif est de “fondre” tant au niveau graisseux que musculaire, il doit se contenter d’une collation légère : boisson de récupération puis petit sandwich.

Il n’est bien entendu pas recommandé de rester complètement à jeun dans les heures qui suivent la séance…

  1. Si l’objectif du sportif est de rompre rapidement le catabolisme induit par la séance, il doit prendre un petit déjeuner complet :

– Jus de fruit ou fruit

– Céréales ou pain (à volonté)

– 20 g beurre + miel/confiture

– 10 fruits secs (noisettes, amandes, noix)

– 2 tranches de jambon ou 2 œufs au plat

– Boisson chaude

En termes de complémentation, il convient de couvrir ses besoins en acides gras essentiels oméga 3 et en acides aminés ramifiés (leucine, isoleucine, valine).

Conclusion

Avec plus de 280 études traitant du sujet, on peut dire que l’entraînement à jeun a été bien étudié sur le plan scientifique. Il reste cependant des zones d’ombre à éclaircir pour bien comprendre comment intégrer l’entraînement et la nutrition, afin d’optimiser les performances d’un sportif.

L’individualisation de la nutrition des athlètes est sans aucun doute un axe clé pour aider les athlètes dans leur préparation.

L’expert vous répond

« Je suis entraîneur d’un groupe de jeunes triathlètes (12-18 ans) et je voulais savoir s’il était possible de les initier à cette méthode ? »

Oui, c’est possible, mais avec parcimonie. Une fois par semaine, en relisant des séances courtes de 30 minutes maximum. Au-delà, le risque de surmenage, d’hypoglycémie et de démotivation augmente ! 

Références 


Beneficial metabolic adaptations due to endurance exercise training in the fasted state.
Van Proeyen K. et al. J Appl Physiol. 2011 Jan;110(1):236-45.

Four Weeks of 16/8 Time Restrictive Feeding in Endurance Trained Male Runners Decreases Fat Mass, without Affecting Exercise Performance
Tovar AP et al., Nutrients. 2021 Aug. 13(9), 2941. Periodized Nutrition for Athletes
Jeukendrup AE. Sports Med 2017 Mar 47:51-63